Par Me Isabelle Duclos, avocate et Madame Emma Sirois du cabinet Cain Lamarre
2- L'arrêt Costco et ses critères
Dans l’univers juridique du travail au Québec, les termes liés à la fin d’emploi sont nombreux et parfois confondus : licenciement, mise à pied, congédiement disciplinaire, fin d’emploi administrative… Tous mènent à une même réalité - la rupture du lien d’emploi - mais reposent sur des fondements distincts et entraînent des obligations spécifiques pour l’employeur. Parmi eux, le congédiement administratif pour incompétence soulève des questions complexes, tant sur le plan juridique que sur les plans humain et organisationnel. Pour les employeurs, il est essentiel de comprendre les conditions de sa légalité, les étapes à respecter et les précautions à prendre afin de limiter les risques de contestation. Cet article se penche donc sur cette forme particulière de fin d’emploi et met en lumière les développements récents en la matière.
Dans l’univers juridique du travail au Québec, les termes liés à la fin d’emploi sont nombreux et parfois confondus : licenciement, mise à pied, congédiement disciplinaire, fin d’emploi administrative… Tous mènent à une même réalité - la rupture du lien d’emploi - mais reposent sur des fondements distincts et entraînent des obligations spécifiques pour l’employeur. Parmi eux, le congédiement administratif pour incompétence soulève des questions complexes, tant sur le plan juridique que sur les plans humain et organisationnel. Pour les employeurs, il est essentiel de comprendre les conditions de sa légalité, les étapes à respecter et les précautions à prendre afin de limiter les risques de contestation. Cet article se penche donc sur cette forme particulière de fin d’emploi et met en lumière les développements récents en la matière.
Plus précisément, le congédiement disciplinaire vise à sanctionner un comportement fautif et volontaire du salarié, comme le vol, l’insubordination ou les retards répétés. Toutefois, en droit du travail, cette mesure est considérée comme la plus sévère - parfois qualifiée de « peine capitale » par les tribunaux - et ne peut être imposée sans respecter le principe de la gradation des sanctions. Sauf dans des cas précis, l’employeur doit généralement suivre un processus progressif, incluant des avertissements verbaux et écrits, voire une suspension (ou des suspensions), avant d’en arriver au congédiement. Cela dit, certains manquements graves, selon les circonstances, peuvent justifier un congédiement immédiat, même en l’absence de mesures préalables notamment lorsque le lien de confiance est brisé.
La fin d'emploi administrative
Concernant plus particulièrement la fin d’emploi administrative, celle-ci arrive plutôt dans le cas où, à titre d’exemple, le salarié, de façon involontaire, ne parvient pas à satisfaire aux exigences liées à son poste, voire se révèle incapable d’exécuter les tâches qui lui sont confiées.
En effet, il faut rappeler qu’un contrat de travail est celui par lequel un salarié s’oblige, contre rémunération, à effectuer un travail sous le contrôle et la direction de l’employeur. Conséquemment, et basé sur les obligations contractuelles qui les lient, l’employeur est en droit de s’attendre et de recevoir une prestation de travail adéquate en échange du salaire versé. Ainsi, lorsque les lacunes au niveau du travail persistent malgré les mesures de soutien raisonnables, le congédiement peut être envisagé, non pas comme une sanction disciplinaire, mais comme une mesure visant à rétablir l’efficacité organisationnelle. Toutefois, l’employeur, avant de procéder ainsi, doit suivre une série d’étapes qui ont été développées dans la jurisprudence.
2 - L'arrêt Costco et ses critères
Les cinq étapes à suivre par l'employeur
Dès lors, pour que l’incompétence ou l’inaptitude d’un salarié(1) soit reconnu comme une cause juste et suffisante au sens de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail(2), l’employeur doit respecter les cinq critères de l’arrêt Costco Wholesale Canada Ltd.(3), rendu en 2005 qui précise que :
Lorsqu’une fin d’emploi est contestée par le salarié, il revient dans ce cas à l’employeur de démontrer qu’il a respecté les cinq critères. Ce fardeau de preuve implique une application raisonnable et adaptée de chaque étape, en fonction du poste occupé et du contexte propre à l’entreprise.
Plus précisément, les tribunaux exercent un contrôle sur le processus suivi, en vérifiant si chacune des étapes a été menée de façon juste et équitable. C’est pourquoi les employeurs doivent documenter soigneusement chaque intervention, conserver les preuves pertinentes et agir avec diligence tout au long du processus. Finalement, une fois l’analyse effectué et si les étapes sont jugées conformes, les tribunaux ne peuvent substituer leur propre appréciation à celle de l’employeur ni modifier la mesure imposée, d’où l’importance de bien documenter et connaître les critères. Plus précisément, voici comment cela peut se traduire au quotidien pour les employeurs.
Dans cette section, quatre décisions récentes seront analysées afin d’illustrer l’impact qu’on eut certaines faiblesses dans le processus de fin d’emploi, ainsi que les pratiques à adopter pour s’y conformer.
La première décision, Hénonin c. Centre de recherche informatique de Montréal inc.(4), rendue en 2025, concerne le congédiement d’un directeur des technologies en raison de faiblesse au niveau de ses habiletés interpersonnelles, de son adhésion à la vision de l’entreprise et de sa capacité à collaborer. L’employé conteste son congédiement en déposant une plainte en vertu de l’article 124 de la LNT. Le Tribunal administratif du travail considère que l’employeur n’a pas démontré avoir respecté les exigences de fond requises pour procéder au congédiement administratif puisque :
La plainte fût donc accueillie et le congédiement administratif annulé.
Dans la deuxième décision, Lavallée c. Importations A1 inc(5), rendue en 2023, la plaignante, directrice des ventes depuis presque trois ans, conteste son congédiement en vertu de l’article 124 de la LNT. L’employeur justifie cette décision en raison de problèmes de rendement dans sa prestation de travail et de ses lacunes à respecter le mode de fonctionnement en vigueur. Le Tribunal conclut que l’employeur n’a pas démontré avoir accordé à la plaignante un délai raisonnable pour ajuster son comportement ni démontré qu’elle avait été clairement avisée du risque de congédiement en cas d’absence d’amélioration. L’employeur justifie son omission d’informer convenablement la plaignante en affirmant qu’il est d’avis qu’il faut prendre des gants blancs, rester sensible à la situation et favoriser le renforcement positif. Le Tribunal souligne que ce choix d’approche, est inappropriée en matière de gestion de la performance, surtout lorsqu’un congédiement est envisagé. L’employeur a également soutenu que la plaignante devait nécessairement savoir que le congédiement était un risque si elle n’accomplissait pas l’ensemble des tâches demandées, mais le Tribunal a rejeté cet argument. L’employeur ne peut présumer que la plaignante savait ou aurait dû savoir que son emploi était en jeu. La plainte étant accueillie, le congédiement administratif fut annulé.
La troisième décision est Milliner c. Relais Nordik inc.(6), rendue en 2023, dans laquelle le Chef des services aux passagers sur un navire, contestait son congédiement en vertu de l’article 124 de la LNT. L’employeur affirme avoir congédié l’employé pour incompétence et incapacité à assumer les responsabilités de son poste, malgré le soutien offert, le tout en respectant les procédures adéquates. Or, le Tribunal a conclu que l’employeur n’avait pas fourni le support nécessaire à l’employé permettant de se corriger, ni accordé un délai raisonnable pour s’ajuster. Dans les faits, l’employeur avait mandaté la directrice des ventes, du marketing et des communications pour accompagner le plaignant sur le navire, afin de l’observer et de le « coacher ». Toutefois, le Tribunal n’a pas identifié en quoi cette intervention constituait une aide concrète. Il souligne que l’absence de structure, de rigueur et de formalisme est problématique, rappelant qu’un employeur de cette envergure, soutenu par un service de ressources humaines, est tenu de mettre en place un plan clair et structuré, avec des objectifs et délais précis. À la suite du passage de la directrice sur le navire, aucun suivi périodique, soutien ou formation n’a été offert au plaignant. De plus, seulement trois mois après l’avertissement de la possibilité d’un congédiement le plaignant est congédié, délai que le Tribunal qualifie de déraisonnable considérant le poste occupé, les correctifs exigés et l’absence de soutien. La plainte a donc été accueillie, et le congédiement annulé.
La dernière décision analysée est Fils-Aimé c. 9297-3668 Québec inc.(7), rendue en 2024, dans laquelle une plainte en vertu de l’article 124 de la LNT fût déposée. Le plaignant a été embauché en 2016 à titre d’infirmier auxiliaire et c’est un peu plus de sept ans après son embauche qu’il a été congédié verbalement par le directeur général. L’employeur indique que le motif de la fin d’emploi est le manque de compétence du plaignant et affirme lui avoir donné plusieurs avis de toutes sortes au cours des années précédentes. Le Tribunal mentionne que, si l’employeur a informé le plaignant à diverses reprises de son insatisfaction quant à la qualité de son travail, il l’a fait toutefois plus souvent verbalement que par écrit, ce qui laisse perplexe quant à la gravité de la situation. Dans le seul avis écrit remis au plaignant 11 mois avant son congédiement, aucun ultimatum n’était indiqué lui permettant de comprendre que son emploi était en péril. Dans ces circonstances, le Tribunal conclut que l’employeur n’a pas démontré que le plaignant savait ou devait savoir que son emploi était en danger. Le congédiement a donc été annulé.
Ces décisions récentes rappellent aux employeurs l’importance de respecter rigoureusement les critères établis par l’arrêt Costco Wholesale Canada Ltd.. Elles mettent en lumière que le dernier critère, soit l’obligation d’aviser clairement l’employé du risque de congédiement en cas d’absence d’amélioration, est souvent négligé, généralement en raison de considérations humaines. Elles soulignent également l’importance d’avoir une structure de gestion en place ainsi que l’importance de communiquer clairement les attentes et les objectifs à atteindre, notamment par le biais d’outils comme les évaluations de rendement.
Depuis quelques années, certaines décisions considèrent qu’un sixième critère doit être ajouté à la grille d’analyse, à savoir que l’employeur doit avoir déployé des efforts raisonnables pour réaffecter l’employé concerné à un poste compatible avec ses compétences. Ce courant jurisprudentiel, amènerait les employeurs de grande taille à devoir faire une évaluation des postes disponibles avant de mettre fin à l’emploi du salarié.
Toutefois, la tendance actuelle est plutôt à l’effet de ne pas imposer aveuglément à l’employeur une exigence de relocaliser du salarié dont le rendement est insatisfaisant, mais plutôt d’évaluer si le contexte en cause s’y prête (notamment la taille de l’organisation/de l’entreprise). Ainsi dans la mesure où un autre emploi est disponible et compatible avec les aptitudes du salarié, le Tribunal pourrait être amené à conclure au caractère injustifié du congédiement vu les particularités de l’affaire et malgré la preuve des autres critères(8). Bref, il sera intéressant de suivre cette évolution sur une plus longue période.
Le congédiement d’un cadre de haut niveau, c’est-à-dire d’un employé occupant un poste de haute direction, assumant des responsabilités spécifiques et importantes au sein de l’entreprise, se distingue du simple salarié. L’incompétence d’un cadre pourra être traité sous le volet disciplinaire. En effet, lorsqu’un employé est embauché à un poste de cadre, il est embauché sur la base qu’il possède les compétences et les aptitudes requises pour exercer ses fonctions. En ce sens, puisque l’employeur est en droit d’avoir une attente raisonnable quant à la compétence du cadre à remplir les tâches liées à son poste, des lacunes au niveau de sa performance pourraient être qualifiées comme une faute volontaire.
Dans ce contexte la jurisprudence reconnaît que le principe de progression des sanctions doit être modulé lorsqu’on est en présence d’un employé-cadre(9). Les standards envers les salariés ne lui sont pas appliqués de la même façon. En fait, plus le poste occupé dans l’entreprise est élevé, moins il est nécessaire de l’avertir des répercussions de ses actions(10). Cependant, même si la démarche est moins balisée, cela n’a pas pour effet d’exempter l’employeur d’appliquer le principe de la bonne foi et donc une certaine progression des sanctions avant de congédier le cadre(11).
À titre d’exemple, lorsqu’un cadre fait preuve d’un manque de jugement manifeste ou pose des gestes irréfléchis, cela peut entraîner une rupture irréversible du lien de confiance, élément fondamental de la relation entre l’employeur et le cadre. Dans un tel contexte, l’employeur pourrait être justifié de mettre fin immédiatement au contrat de travail. Toutefois, puisque l’appréciation de l’incompétence repose sur une évaluation subjective, il peut s’avérer difficile pour l’employeur de démontrer que les circonstances justifient un congédiement sans préavis, comme prévu à l’article 2091 du Code civil du Québec(12). Une certaine prudence s’impose donc.
Il est important de se situer et de distinguer le congédiement administratif d’un salarié permanent pour incompétence, du refus d’embauche définitive à l’issue d’une période d’essai. Cette distinction est fondamentale, sur le plan des obligations procédurales de l’employeur. Effectivement, les principes énoncés dans l’arrêt Costco et analysés dans le présent article ne trouvent pas application dans le contexte d’une période d’essai.
La jurisprudence reconnaît généralement que, durant cette période, il n’est pas nécessairement question d’incompétence, mais plutôt de la détermination par l’employeur du savoir-être et du savoir-faire du salarié pour occuper un poste et obtenir un emploi permanent après la période d’essai(13). En réalité, la durée même de la période d’essai, souvent définie par la convention collective ou le contrat, c’est la période où le salarié doit démontrer sa capacité à occuper le poste de façon satisfaisante en vue d’une embauche permanente.
Toutefois, l’employeur ne peut exercer sa discrétion de manière abusive, vexatoire ou dans l’intention de nuire dans la mesure où ce pouvoir est encadré par les exigences de bonne foi prévues aux articles 6, 7 et 1375 du Code civil du Québec. L’employeur doit donc faire preuve de prudence, car, même en période d’essai, une rupture du lien d’emploi pourrait être contestée si elle est entachée d’un comportement abusif.
Ce qu’il faut retenir, c’est que la fin d’emploi administrative n’est pas une simple mesure de gestion par l’employeur, mais un processus encadré, exigeant et potentiellement litigieux. Si l’employeur doit respecter les cinq étapes clés établies par la jurisprudence, il doit aussi adapter son approche selon le poste occupé, qu’il s’agisse d’un cadre ou d’un salarié en période d’essai, tout en agissant avec rigueur et bonne foi.
Afin de limiter les risques liés à une fin d’emploi de nature administrative, certaines pratiques préventives peuvent être mises en place. L’employeur gagne à définir clairement les responsabilités, les attentes et les objectifs de tous en matière de rendement. Il est également recommandé de mettre en place des évaluations régulières et de documenter les atteintes ou manquements aux objectifs fixés. Enfin, en cas de lacunes observées, elles doivent être documentées et une communication transparente accompagnée d’un soutien ciblé doit être offert à l’employé.
(1) Comptant plus de deux années de service continues
(2) RRQ, n-1.1 (ci-après « LNT »).
(3) Costco Wholesale Canada Ltd. c. Laplante, 2005 QCCA 788, par. 16.
(8) Commission scolaire Kativik c. Association des employés du Nord québécois, 2019 QCCA 961.
(9) Bruneau c. Hydro-Québec (Div. Trans-Énergie), 2023 QCTAT 2549; Roussy c. Toys "R" Us Canada ltée, 2022 QCTAT 2508.
(10) Mommaerts c Élopak Canada inc, 2011 QCCRT 375, par. 122;Carignan c. Maison Carignan inc., 2020 QCCA 1042, par. 22
(11) Carrier et ArcelorMittal Produits longs Canada, 2017 QCTAT 4427, par. 21 (par. 165 -> par. 22)
(13) Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 308 c Saint-Jérôme (Ville), 2025 CanLII 43804 (QC SAT); Syndicat des fonctionnaires municipaux (FISA) c. Québec (Ville de), 2014 QCT.
Dernière mise à jour au 14 octobre 2025
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