Le Réseau juridique du Québec : La tutelle supplétive

La tutelle supplétive


En processus de mise à jour par Me Gabrielle Azran, du cabinet Azran Avocats, Montréal


Contenu



Introduction

La tutelle supplétive constitue une alternative qui s’offre aux parents qui sont dans l'impossibilité d'exercer leurs charges parentales et/ou titulaires.

Plus particulièrement, en 2017, l’entrée en vigueur de la Loi modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives en matière d’adoption et de communication de renseignements (L.Q. 2017, c. 12) a consacré l’introduction de ce nouveau type de tutelle au mineur en droit civil québécois, et ce par l’ajout de neuf (9) nouvelles dispositions législatives au Code civil du Québec (« C.c.Q. »), soit les articles 199.1 à 199.10.

Par l’introduction d’un tout nouveau type de tutelle au mineur qui était inexistant sous l’ancien régime du Code civil du Bas-Canada de même que, jusqu’à tout récemment, sous le C.c.Q., le législateur québécois a cherché à répondre de manière plus adéquate aux besoins modernes et actuels des familles, et ce en considération de l’intérêt des enfants. Comme nous le verrons plus amplement ci-après, ce nouveau régime de tutelle au mineur revêt plusieurs bénéfices pratiques qui permettent de palier à certaines lacunes du droit de l’enfant et du droit de la famille, et s’avère notamment une alternative d’intérêt à l’adoption lorsque l’intérêt de l’enfant commande uniquement qu’un membre de sa famille élargie puisse agir comme le ferait un parent en lui offrant au quotidien la protection et les soins nécessaires à son bien-être.

Qu'est-ce que la tutelle supplétive ?

La tutelle supplétive consiste en la désignation, par le père ou la mère d’un enfant, d’une personne à laquelle ce parent délègue ou partage les charges de tuteur légal et de titulaire de l’autorité parentale (« charges tutélaires et parentales ») qui lui incombent habituellement. Ces charges sont les obligations auxquelles sont généralement tenus les tuteurs légaux et les titulaires de l’autorité parentale, c’est-à-dire le devoir de protection de l’enfant, le devoir d’administration de son patrimoine, ainsi que le droit et le devoir de garde, de surveillance et d’éducation de l’enfant.

Pour consentir valablement la tutelle supplétive, le parent de l’enfant doit être dans l’impossibilité d’exercer pleinement les charges de tuteur légal et de titulaire de l’autorité parentale. Cette impossibilité du plein exercice de ces charges peut, par exemple, se traduire par l’absence d’un parent à l’étranger pendant plusieurs années pour le travail, ou encore par la déchéance de l’autorité parentale de l’un des parents.

Il est important de préciser que seul un certain nombre de personnes, qui font généralement partie de la famille élargie d’un enfant, peuvent être ainsi désignées tuteurs, et il est intéressant de constater que ces individus pouvant ainsi bénéficier de la tutelle supplétive sont les mêmes qui peuvent bénéficier de l’adoption sur consentement spécial. Ces personnes sont :

  • Le père, la mère, un grand-parent ou un arrière grand-parent de l'enfant ;
  • Le ou la conjoint(e) du père, de la mère, du grand-parent ou de l'arrière grand-parent de l'enfant ;
  • L'oncle, la tante, le frère majeur ou la soeur majeure de l'enfant ;
  • Le ou la conjoint(e) de l'oncle, de la tante, du frère majeur ou de la soeur majeure de l'enfant.

Somme toute, la tutelle supplétive permet à un membre de la famille élargie de l’enfant d’agir, totalement ou en partie, comme le ferait un parent, avec les mêmes devoirs légaux que cette responsabilité sous-tend.

Quels sont les avantages pratiques de la tutelle supplétive ?

Dans un premier temps, il convient de préciser qu’une fois le tuteur supplétif désigné, il y a suspension des charges tutélaires et parentales du parent délégataire, qui n’est pas en mesure de les exercer pleinement, et que le tuteur supplétif jouit, quant à lui, des charges tutélaires et parentales dont bénéficiait auparavant ce parent dont lesdites charges sont suspendues. S’il s’agit d’une délégation des charges, le tuteur supplétif jouira de l’ensemble de ces dernières ; en cas de partage des charges, le principe est le même, mais dans la mesure du partage établi. Par conséquent, s’il y a eu délégation de l’ensemble des charges plutôt qu’un simple partage, le tuteur supplétif peut désormais exercer l’autorité parentale, à l’instar de tout parent, à l’égard d’un enfant.

Ainsi, la tutelle supplétive se distingue de la possibilité, pour un parent, de déléguer la garde, la surveillance ou l’éducation de l’enfant de manière révocable, spéciale et temporaire prévue à l’article 601 C.c.Q., d’autant plus que si la tutelle supplétive entraîne la suspension des charges du parent délégataire, l’option de l’article 601 C.c.Q., quant à elle, ne délivre guère le parent délégataire des droits et devoirs lui incombant à ce titre.

Cela dit, la tutelle supplétive s’avère également une alternative pertinente à l’adoption dans certaines circonstances particulières. Prenons l’exemple d’un grand-parent qui souhaiterait adopter l’un de ses petits-enfants : une telle adoption, sur consentement spécial, bien qu’en théorie légale, pourrait avoir des conséquences identitaires et/ou symboliques importantes sur l’enfant, puisque ce dernier deviendrait alors le frère de sa propre mère ou de son propre père. Afin d’éviter cette éventualité, il pourrait être préférable d’opter pour la tutelle supplétive, d’autant plus que dans les deux cas, le grand-parent en question jouira des charges tutélaires et parentales. On peut également envisager le cas d’un beau-parent qui considère l’enfant de son ou sa conjoint(e) comme le sien et qui souhaiterait bénéficier des charges tutélaires et parentales à son égard, à l’instar d’un parent : si ce dernier peut, en théorie, adopter le mineur par voie d’adoption sur consentement spécial, cette option aurait cependant pour incidence d’effacer la filiation précédente de ce mineur relativement à l’autre de ses deux parents, qui n’est pas le ou la conjoint(e) de ce beau-parent. Dans la perspective d’éviter cet effacement de la filiation, la tutelle supplétive peut alors se révéler une option intéressante. Pour plus de détails sur l’adoption, nous vous invitons à consulter l’article suivant  : Adoption.

Qui doit donner son consentement à la désignation d'un tuteur supplétif ?

La désignation d’une personne comme tuteur supplétif doit nécessairement être autorisée par le Tribunal, à la demande de l’un des parents de l’enfant. En principe, c’est la Cour supérieure qui aura compétence pour entendre une telle demande.

Par ailleurs, que la demande consiste en une demande de partage des charges parentales et tutélaires par l’un des parents ou de délégation totale de ces charges par l’un des parents, le consentement des deux (2) parents sera ultimement requis.

Qui plus est, si l’enfant est âgé de dix (10) ans ou plus, la demande doit impérativement lui être signifiée et la désignation ne peut avoir lieu sans son consentement, à moins que l'enfant ne soit dans l’impossibilité de manifester sa volonté. D’ailleurs, dans sa prise de décision, et comme c’est le cas pour toute décision en matière familiale impliquant l’enfant, le tribunal devra prendre en considération l’intérêt de ce dernier. L’enfant pourra notamment être entendu par le tribunal si son âge et son discernement le permettent. Ainsi, un juge pourrait, s’il est d’avis que la désignation serait dans le meilleur intérêt de l’enfant et malgré le refus de ce dernier, autoriser la désignation, tout comme il pourrait, malgré l’opposition de l’un des parents, l’autoriser s’il estime qu’il en va du meilleur intérêt de l’enfant. Un tribunal ne peut toutefois écarter le refus d’un enfant âgé de quatorze (14) ans et plus et doit respecter sa volonté. Il convient également de préciser que si l’enfant est âgé de 14 ans et plus, la signification de la demande doit obligatoirement lui être faite en mains propres (et non par simple courriel, par exemple).

Finalement, si l’enfant qui est concerné par la demande fait l’objet d’un signalement auprès du Directeur de la protection de la jeunesse (« DPJ »), la demande de désignation déposée auprès du tribunal doit lui être notifiée (art. 403.1 du Code de procédure civile), et le DPJ peut intervenir de plein droit à cette demande, de sorte qu’il serait en droit de s’y opposer ou de l’appuyer, selon le cas.

Qui peut s'opposer à la désignation d'un tuteur supplétif ?

Outre les personnes susmentionnées qui doivent donner leur consentement et/ou qui peuvent valablement s’opposer à une telle demande, toute personne intéressée peut contester la délégation ou le partage des charges ainsi que la désignation d’un tuteur. Une « personne intéressée » pourrait être un individu investi d’un intérêt moral suffisant vis-à-vis de l’enfant : tel pourrait notamment être le cas de l’oncle, de la tante et/ou des grands-parents de l’enfant, par exemple, ou d’un autre membre de sa famille élargie.

Les effets de la tutelle supplétive sont-ils permanents ?

Non. D’abord, le père ou la mère qui a consenti à la délégation des charges tutélaires et parentales peut s’adresser au tribunal afin d’être rétabli dans ses charges, et ce si la survenance de faits nouveaux le justifie. Ces faits, par exemple, pourraient en être qui attestent de l’arrivée à terme de la situation à la source de l’impossibilité du plein exercice de ces charges. L’enfant âgé de dix (10) ans et plus ou le tuteur de l’enfant peut également adresser une telle demande.

Le tuteur supplétif peut également s’adresser à un tribunal afin de remettre sa démission et demander d’être relevé des charges qui lui incombent. Le tuteur supplétif devra alors rendre compte de sa gestion, le cas échéant, et aviser de sa demande les parents de l’enfant ainsi que ce dernier, s’il est âgé de 10 ans et plus.

De surcroît, et puisque la tutelle supplétive n’implique guère la suspension du droit d’un parent de nommer un tuteur pour son enfant, elle peut également prendre fin lors de l’application des règles de la tutelle, et ce que le tuteur soit nommé par les parents de l’enfant ou par un tribunal.

Finalement, la tutelle supplétive prend fin à la majorité de l'enfant.

En matière de tutelle supplétive, une coutume autochtone peut-elle se substituer aux règles prescrites par le C.c.Q. ?

Oui. L’article 199.10 C.c.Q. permet désormais aux coutumes autochtones qui sont en harmonie avec les principes relatifs à l’intérêt de l’enfant, ses droits et libertés et le consentement des personnes concernées, de se substituer aux conditions prescrites par les articles 199.1 à 199.9 C.c.Q. en matière de tutelle supplétive, exception faite des articles 199.6 et 199.7 C.c.Q.

En présence d’une telle coutume autochtone, la tutelle sera alors dite coutumière, et l’enfant ou son tuteur devra faire une demande à cet effet. La tutelle supplétive sera alors attestée par l’autorité compétente désignée par la communauté ou la nation autochtone de l’enfant ou de son tuteur, à moins que l’enfant et son tuteur ne soient membres de nations différentes, auquel cas l’autorité compétente sera nécessairement celle désignée par la communauté ou la nation de l’enfant. Par la suite, l’autorité compétente, après s’être assurée que la tutelle est conforme à l’intérêt de l’enfant ainsi que du respect de la coutume, notamment que les consentements requis ont été valablement donnés et que l’enfant a été confié au tuteur, délivrera un certificat attestant de la tutelle.

Enfin, il importe de préciser que dans le cas où un enfant fait l’objet d’un signalement au DPJ, aucun certificat de tutelle coutumière ne pourra être délivré, et ce jusqu’à la fin de l’intervention, à moins d’un avis écrit et motivé du DPJ au regard de l’intérêt de l’enfant et du respect de ses droits et libertés.


Date de mise à jour : 3 avril 2020


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