Le réseau juridique du Québec : La responsabilité civile


La responsabilité civile :
vos droits et vos obligations


Jean-Louis Baudouin, Ad.E., ancien juge à la Cour d'appel du Québec et Patrice Deslauriers, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Montréal et avocat.

Texte résumé par : Jurismedia inc.

Texte mis à jour par : Me Sebastian Fernandez, du cabinet Bélanger Longtin, Montréal

Tiré de: La responsabilité civile, Baudouin, J.-L. et P. Deslauriers, Éditions Yvon Blais.


Contenu

Avant-propos

Introduction

1. La responsabilité du fait personnel

2. La responsabilité du fait des autres

3. La responsabilité du fait des biens

Conclusion


Avant-propos

Le présent texte a pour objectif de fournir au lecteur non-initié au droit un aperçu des notions de base de la « responsabilité civile », c'est-à-dire l’« obligation pour une personne de réparer le préjudice qu’elle a causé à une autre personne par sa faute, par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait d’un bien qu’elle a sous sa garde ». Le sujet est si vaste qu'il a fait l'objet de milliers de jugements à travers les années, chacun invoquant un principe appliqué spécifiquement à un cas particulier. Conséquemment, en ces quelques pages, seuls les principes fondamentaux sont exposés et, dans toute circonstance entourant votre responsabilité ou dans laquelle vous avez subi un dommage, il est suggéré de consulter un avocat pour connaître vos obligations et protéger vos droits.

Introduction

La responsabilité civile naît du non-respect d'un devoir ou d'une obligation auquel on est tenu envers une autre personne. En droit québécois, il existe deux types de responsabilités, soit la responsabilité civile résultant d'un contrat et celle résultant de faits et gestes (ou omissions) d'une personne.

Le présent article explique les notions fondamentales de la responsabilité civile qui résulte de faits et gestes (ou omissions) d'une personne sans qu'un contrat soit intervenu entre ces personnes. Ce type de responsabilité est appelé la « responsabilité extracontractuelle » (anciennement la « responsabilité délictuelle ») (traitée dans le Code civil du Québec, à ses articles 1457 et suivants). Un second texte traite de la responsabilité résultant d'un contrat (article 1458 du Code civil du Québec).

Le principe fondamental de la responsabilité civile extracontractuelle repose sur le fait que toute personne a le devoir général de bien se conduire, de ne pas causer de préjudice à autrui et de réparer, le cas échéant, le dommage causé à autrui par sa faute.

La responsabilité d'une personne peut être engagée non seulement si celle-ci cause personnellement un dommage, mais également par le fait d'une personne sous la responsabilité d'une autre (enfant, personne majeure faisant l'objet d'une tutelle ou d'une curatelle, employé, etc.) ou d'un bien sous la garde d'une personne (fait autonome d’un bien meuble ou immeuble, ruine d’un immeuble, fait d’un animal, etc.). La victime peut, le cas échéant, poursuivre la personne qui avait la responsabilité de la personne ou du bien ayant causé le dommage dans le cadre d'un recours en « dommages-intérêts ». Il s'agit du mode le plus commun de réparation en matière de responsabilité extracontractuelle. Ces dommages-intérêts peuvent être compensatoires, où leur attribution a pour vocation d’indemniser la victime du préjudice encouru de manière proportionnelle à ce dernier afin de compenser la perte encourue et/ou le gain manqué, ou punitifs (ou exemplaires), où ils revêtent plutôt une fonction punitive, préventive et de dissuasion. À la différence des dommages-intérêts compensatoires, les dommages punitifs peuvent uniquement être réclamés lorsque la loi prévoit expressément la possibilité de les réclamer dans une situation donnée.

Dans le cadre du présent texte, nous verrons les conditions et limites de la responsabilité du fait personnel, du fait des autres et du fait des biens.

1. La responsabilité du fait personnel

La responsabilité du fait personnel découle d'un manquement volontaire ou involontaire à une obligation ou devoir qu'ont tous les individus, soit celui de ne pas nuire à une autre personne.

Afin qu’un individu soit tenu responsable, et donc tenu de réparer un dommage causé, quatre (4) conditions essentielles doivent être remplies :

  1. la personne doit être capable de discerner le bien du mal (être douée de raison);
  2. il doit y avoir eu « faute »;
  3. préjudice doit résulter des actes ou omissions de la personne; et
  4. il doit exister un lien de « causalité » entre la faute commise par la personne et le dommage subi.

Chacun de ces concepts fondamentaux est expliqué dans les paragraphes qui suivent :

    1.1 Capacité de distinguer le bien du mal

    Pour être responsable et obligée de réparer le dommage causé aux autres, la personne doit être douée de raison, c'est-à-dire être capable de se rendre compte de la nature de l'acte qu'elle posait, de sa portée et des conséquences que cet acte puisse possiblement occasionner. Une personne involontairement privée de sa raison de manière temporaire ou permanente au moment où elle a posé l'acte ayant entraîné le dommage n'est donc pas civilement responsable. Cependant, la personne ayant sous sa responsabilité un individu privé de raison pourrait être tenue de réparer le dommage subi (voir section 2). Parmi les personnes non douées de raison, on retrouve notamment les personnes dont les facultés mentales sont altérées et les jeunes enfants généralement âgés de sept ans et moins.

    1.2 Faute

    Il y a « faute » lorsque, volontairement ou involontairement, une personne nuit à une autre. Elle est fautive puisqu'elle a alors un comportement contraire à celui auquel on peut s'attendre d'une personne raisonnablement prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances. Il s’agit donc d’une dérogation à l’obligation générale de se comporter en personnes prudente, diligente et raisonnable à l’égard d’autrui. L'erreur de conduite est appréciée par rapport au standard imposé par la loi, à celui reconnu par la jurisprudence (décidé par les cours) ou à celui prévalant en la société civile.

    La faute peut résulter d'un geste (faute d'action), où l’individu en cause a fait ce qu’il n’aurait pas dû faire, ou de ne pas avoir agi (faute d'omission), où l’individu en cause n’a plutôt pas fait ce qu’il aurait dû faire. La faute peut être intentionnelle (le geste est posé délibérément, avec l'intention de nuire) ou non intentionnelle (le geste est posé par imprudence ou négligence). Selon l'intensité de la violation, la faute peut être parfois qualifiée de lourde. La faute lourde est définie comme étant celle qui dénote chez son auteur une insouciance, une imprudence ou une négligence grossière ou un mépris total des intérêts d'autrui.

    La loi attache quelques fois à la faute lourde ou intentionnelle des effets juridiques particuliers. Par exemple, le Code civil du Québec prévoit à son article 1471 qu'une personne qui porte secours (le « bon samaritain ») à une autre personne est exonérée de toute responsabilité pour un dommage qui serait causé à cette personne, à moins que le dommage ne résulte d'une faute intentionnelle ou d'une faute lourde de notre « bon samaritain ». Ainsi, dans ce contexte, la personne qui agit avec insouciance, imprudence, négligence grossière ou avec intention de nuire pourrait néanmoins être tenue responsable du dommage. En revanche, dans un domaine particulier, soit en matière de relations de voisinage, il existe un régime de particulier de responsabilité objective sans faute, où le comportement du voisin est complètement occulté au profit du résultat du ou des acte(s) posé(s) qu’on lui reproche.

    1.3 Préjudice

    Une personne ne peut poursuivre une autre sans qu'elle ait subi un préjudice (ou dommage). Un dommage peut être :

    • une atteinte à l'intégrité physique d'une personne (exemple : quelqu'un qui subit des blessures dans un accident),
    • une atteinte à un droit de la personnalité (exemple : la réputation d'une personne compromise par les propos d'un collègue) et/ou à la qualité de la vie d’une personne; ou
    • une atteinte à un bien (exemple: une automobile endommagée par la chute d'un arbre).

    Un dommage doit être direct, c’est-à-dire qu’il doit s’avérer « la conséquence logique, directe et immédiate de la faute » (art. 1607 du Code civil du Québec). Dans la majorité des cas, c'est la victime qui subit les conséquences immédiates de la faute. À titre d’exemple  :

    • la personne blessée dans un accident;
    • le patient ayant subi une intervention chirurgicale ratée;
    • l'individu ayant fait l'objet d'un article de journal diffamatoire; etc.

    Un dommage peut aussi être par ricochet, c’est-à-dire un dommage qui est une suite directe et immédiate d'un premier dommage causé par une personne. Par exemple  :

    • l'épouse qui a subi un dommage tant psychologique que pécuniaire suite à la mort de son mari dans un accident;
    • l'enfant qui naît avec une malformation suite à un accident subi par sa mère alors qu'elle était enceinte de lui; etc.

    Le dommage doit être certain, c’est-à-dire qu'il est existant au moment de la poursuite ou se produira en toute probabilité. Ainsi, tout dommage, présent ou futur, doit être indemnisé, du moment qu'il est certain. Les tribunaux n'exigent pas une certitude absolue; il suffit de démontrer que le dommage pour lequel on demande une indemnisation se produira en toute probabilité. En outre, dans le cas de blessures corporelles, il est possible de réclamer compensation pour les complications qui risquent de survenir en raison des traumatismes déjà subis par la victime.

    L'évaluation d'un dommage éventuel ou futur est propre à chaque situation. C'est le tribunal, à la lumière de la preuve faite devant lui, notamment par des experts, qui devra procéder à l'évaluation. Un dommage simplement hypothétique ne pourra être indemnisé (exemple : une réclamation pour la perte d'un héritage futur plus élevé suite à la mort « prématurée » d'un parent). Par ailleurs, dans le cas d'un dommage corporel, il peut être difficile d'évaluer l'évolution de la condition physique de la victime. Dans ces cas, le Code civil du Québec prévoit que le tribunal peut, lorsqu’il accorde des dommages-intérêts en réparation d’un tel dommage, permettre à la victime de réserver son droit de réclamer des dommages-intérêts additionnels pour une période d'au plus trois ans (art. 1615 du Code civil du Québec).

    De plus, le dommage doit avoir un caractère légitime. En effet, il n'y aura pas d'indemnisation possible lorsque le dommage est causé à une activité illégale (exemple : perte de profits d'une activité illégale).

    Finalement, soulignons que le droit de la victime à être compensée pour le préjudice subi est généralement cessible. Seule une atteinte au droit de la personnalité fait figure d'exception et n'est pas cessible; par contre, son droit sera transmissible à ses héritiers.

    1.4 Lien de causalité

    Une faute peut avoir été commise par une personne et un dommage peut avoir été subi par la victime sans pour autant que l'auteur de la faute en soit tenu responsable. En effet, encore faut-il que le dommage causé soit une conséquence logique, directe et immédiate du fait fautif reproché. Par exemple, une personne qui, d'une façon imprudente, entrouvre les portes d'un ascenseur d'hôpital et fait une chute ne pourra pas nécessairement tenir l'hôpital responsable du manque d'entretien de l'ascenseur en question, même si l'établissement était en violation des normes d'entretien des ascenseurs. Ceci s’explique par le fait qu’il n'y a alors pas de lien de cause à effet entre le manque d'entretien (faute) et les conséquences résultant de la chute de la personne (préjudice).

    De plus, certaines situations peuvent avoir une influence sur l'évaluation du dommage. Si la victime a contribué en tout ou en partie à son dommage, elle ne sera pas indemnisée ou elle ne le sera qu’en partie seulement. Si la victime aggrave elle-même ses dommages, la valeur de son indemnisation risque d'en être également réduite en conséquence. Enfin, si le dommage subi par la victime est le fait de plusieurs personnes, une de ces personnes pourrait être tenue responsable pour le tout (« solidarité »). Toutefois, entre les personnes ayant causé le dommage, il pourrait y avoir un partage de cette responsabilité en proportion de leur contribution respective au dommage (art. 1478 du Code civil du Québec).

2. La responsabilité du fait des autres

La responsabilité civile extracontractuelle peut aussi résulter du fait d'une personne qui est sous la responsabilité d'une autre (un enfant, une personne majeure faisant l'objet d'une tutelle ou d'une curatelle ou un employé).

    2.1 La responsabilité des parents, des éducateurs, gardiens et surveillants

    Le Code civil du Québec impose aux parents, à titre de détenteurs de l'autorité parentale, la responsabilité pour le dommage causé par le fait ou la faute de leur enfant mineur. La loi présume que le dommage causé par le mineur ne se serait pas produit si les parents avaient bien surveillé l'enfant, lui avaient donné une bonne éducation et avaient exercé une garde adéquate. Qu'ils cohabitent ou non, les parents sont tous deux responsables pour le fait ou la faute de leur enfant. À cet égard, il importe de rappeler que le parent qui n'a plus la garde de son enfant conserve néanmoins l'exercice de l'autorité parentale et les obligations qui s'y rattachent dans la mesure de sa participation, à moins que la déchéance de l'autorité parentale n'ait été prononcée.

    Les parents peuvent être tenus responsables pour le geste de l'enfant même si celui-ci n'est pas capable de comprendre la nature de son geste et ses conséquences. À titre d’exemple, si un enfant de trois ans qui lance un caillou et blesse un de ses camarades de jeu, ses parents seront tenus responsables, puisque si l'enfant avait été capable de discernement, le geste commis aurait été considéré comme une faute civile.

    Trois conditions sont nécessaires à la mise en œuvre de leur responsabilité : 1- être titulaire de l'autorité parentale; 2- fait ou faute du mineur; et 3- minorité de l'enfant. Dans l'hypothèse où les trois conditions précédemment décrites sont remplies, les parents de l’enfant sont alors présumés fautifs. C'est alors à eux de repousser cette présomption, et ce en démontrant l'absence de leur faute dans la surveillance, l'éducation ou la garde de leur progéniture.

    Ainsi, pour se dégager de cette présomption, les parents devront démontrer une absence de faute de leur part dans la garde, la surveillance ou l’éducation de l’enfant. Afin de déterminer s’il y a eu dérogation à ces obligations, les tribunaux prennent en considération plusieurs facteurs, parmi lesquels on retrouve notamment la préconisation de la non-violence et du respect dans l’éducation de l’enfant ainsi que la connaissance ou l’ignorance de comportements et/ou d’indices ayant pu permettre de prévoir les agissements de l’enfant ou encore, de manière plus générale, la prévisibilité de l’incident eu égard aux circonstances.

    2.2 La responsabilité des éducateurs, gardiens et surveillants

    Les éducateurs, gardiens et surveillants d’un mineur pourront être tenus responsables de la faute ou du fait du mineur sous leur garde. Lorsque les titulaires de l'autorité parentale délèguent leur autorité parentale à un éducateur, gardien ou surveillant, la personne acquiert sur l'enfant des pouvoirs similaires à ceux des parents. Cette personne peut être un enseignant, un moniteur de camp de vacances, un entraîneur, un surveillant de récréation, un gardien de parc, le préposé de la compagnie aérienne à laquelle l'enfant est confié, etc. Elle peut être aussi un membre de la famille ou du centre d'accueil à qui l'enfant est confié.

    Trois conditions sont nécessaires à la mise en œuvre de leur responsabilité : 1- il doit y avoir eu faute ou fait de l'enfant; 2- l'enfant doit être mineur; et 3- la personne doit avoir été l'éducateur, le gardien ou le surveillant de l'enfant. Lorsque ces trois conditions sont réunies, ils sont alors présumés fautifs. Il leur incombe alors de faire la preuve de leur absence de faute. Ici encore, les tribunaux prennent en considération plusieurs circonstances afin de déterminer s’il y a absence de faute, notamment le nombre d’années d’expérience des éducateurs, gardiens ou surveillants, leur nombre au moment des faits allégués, la qualité de l’enseignement de mesures de sécurité qu’ils auraient inculqués aux enfants ainsi que la nature de ces dernières et la sécurité des lieux.

    La loi dicte cependant quelques circonstances dans lesquelles il peut y avoir exonération :

    • La personne peut se dégager de sa responsabilité si elle prouve son absence de faute dans la garde, la surveillance ou l'éducation. Sa conduite devra être compatible avec la norme d'un gardien, surveillant ou éducateur raisonnablement prudent et diligent.
    • Des causes d'exonérations, comme le moment où l'acte dommageable s'est produit (exemple : l'enfant a commis son geste en dehors des heures de surveillance), la surveillance adéquate de l'enfant, l'imprévisibilité de l'acte de l'enfant, la suffisance des instructions données à l'enfant ainsi que le caractère adéquat des mesures de sécurité peuvent être invoquées par l'éducateur, le gardien ou le surveillant.
    • Une exception concernant le cas du gardien à titre gratuit ou moyennant une simple récompense, tel l'adolescent engagé comme gardien (baby-sitter). Il n'existe alors pas de présomption de faute, et c'est à la victime de prouver les éléments requis pour afin d’obtenir compensation, soit la faute, le dommage et le lien de causalité entre ces derniers.

    2.3 La responsabilité des tuteurs, curateurs et gardiens du majeur

    Le Code civil impose également une responsabilité au curateur et au tuteur pour le dommage causé par un majeur non doué de raison, ainsi qu'à toute personne qui en assume la garde, par exemple un médecin, un hôpital ou une institution psychiatrique. Pour être tenues responsables, ces personnes doivent toutefois avoir commis une faute lourde ou intentionnelle.

    Quatre conditions sont nécessaires à la mise en œuvre de leur responsabilité : 1- l'existence d'une garde; 2- l'incapacité du majeur non doué de raison; 3- un fait illicite commis par le majeur non doué de raison; et 4- la faute intentionnelle ou lourde du tuteur, du curateur ou de la personne qui assume la garde du majeur non doué de raison.

    Un majeur inapte est une personne qui, suite notamment à une maladie, une déficience ou une détérioration de ses capacités mentales ou physiques altérant sa capacité d'exprimer sa volonté, n'est plus ou pas capable de comprendre les conséquences de ses gestes.

    2.4 La responsabilité des employeurs ou des personnes qui ont un lien de subordination sur d'autres

    Le Code civil impose au commettant (exemple : un employeur, une personne qui a donné un contrat de travail à quelqu'un d'autre, ou quelqu'un qui a emprunté un employé de quelqu'un d'autre pour exécuter une tâche, etc.) la responsabilité de la faute commise par son préposé (exemple : un employé) dans l'exercice de ses fonctions. Il s'agit d'une responsabilité sans faute. Le commettant n'a, en effet, pas besoin d'avoir commis une faute pour être tenu responsable de celle de son préposé. S'il est prouvé que le préposé a commis une faute dans l'exercice de ses fonctions, la responsabilité du commettant est présumée. La responsabilité du commettant ne fait cependant pas disparaître celle du préposé, s'ajoutant au contraire à celle-ci, et la victime peut ainsi poursuivre les deux.

    Trois conditions essentielles doivent être réunies pour engager la responsabilité du commettant : 1- le préposé doit avoir commis une faute; 2- un lien de préposition véritable doit unir le préposé au commettant; et 3- le préjudice doit avoir été causé dans l'exercice des fonctions du préposé.

3. La responsabilité du fait des biens

La responsabilité résultant du fait des biens implique un dommage causé par un bien dont un individu a la garde, c'est-à-dire dont il assume le contrôle, la surveillance, la direction ou la maîtrise. Dans le cas d'un immeuble, le propriétaire est responsable du dommage causé par sa ruine. La faute du gardien du bien qui a causé le dommage étant présumée, il n'est pas nécessaire que le gardien du bien ayant causé le dommage ait commis une faute pour que sa responsabilité soit engagée.

Un bien peut être meuble ou immeuble. Il peut être aussi corporel ou incorporel (exemple : les accidents causés par des biens tels le courant électrique, les émanations ou vapeurs d'éléments chimiques ou le gaz).

Certains biens immobiliers, tels un ascenseur, des réservoirs, des gicleurs, des transformateurs, des égouts, des fils ou des racines d'arbres, peuvent causer un dommage par leur fait autonome. Cependant, le feu n'est pas un bien au sens de la loi et la jurisprudence. Ainsi, dans le cas d'un incendie, il faudra que la victime établisse non seulement que les dommages résultent du feu, mais aussi que la cause de l'incendie est attribuable au fait autonome d'un bien ayant provoqué le feu.

La jurisprudence a fixé comme critère que le dommage doit s'être produit en l'absence d'intervention humaine directe et par le dynamisme propre du bien lui-même.

Il existe divers moyens pour le gardien de s'exonérer de la responsabilité du fait autonome du bien. Entre autres, il peut invoquer la force majeure ou le fait d'un tiers, la faute de la victime et l'absence de faute :

  • La force majeure est définie comme étant l'intervention d'un événement extérieur, irrésistible et imprévisible qui rend impossible, d’une manière absolue et permanente, l’exécution d’une obligation. La survenance d'une force majeure exonère le gardien du bien de toute responsabilité. Quant au fait d'un tiers, il peut être considéré comme une force majeure seulement dans la mesure n'a pas commis de faute antérieure. Les faits de la nature (pluie, inondation, neige, débâcle, gelée, verglas, vent, etc.) et les faits de l'homme (grève, incendie, vol, guerre, embargo, maladie, accident, etc.) ne sont pas en eux-mêmes des forces majeures. Toutefois, ils peuvent le devenir s'ils répondent aux quatre conditions d'existence d'une force majeure.

  • La faute de la victime peut servir de cause d'exonération totale ou partielle du gardien. Étant donné, par contre, l'application du régime de présomption au gardien, cette preuve reste difficile à faire.

  • Legardien peut s'exonérer s'il prouve qu'il a pris les précautions nécessaires pour que le bien ne puisse causer un dommage. Le gardien doit démontrer qu'au moment de la réalisation du préjudice, il était dans l'impossibilité d'empêcher le fait qui a causé le dommage par tout moyen raisonnable.

    3.1 Cas spéciaux

      3.1.1 Responsabilité résultant de la ruine des immeubles

      Le propriétaire de l'immeuble est responsable du dommage causé par sa ruine. Le propriétaire est responsable de la solidité de la construction de son immeuble et de son bon entretien à l'égard des tiers, de telle sorte à permettre d'éviter tout danger à l'égard des autres.

      Un bien immeuble est un bien non susceptible d'être déplacé ou réputé comme tel. Cela comprend notamment « les fonds de terre, les constructions et ouvrages à caractère permanent qui s'y trouvent et tout ce qui en fait partie intégrante ». Ainsi, la jurisprudence a tenu des propriétaires responsables pour l'écroulement d'un escalier, d'un balcon, d'une balustrade, d'un pont, d'un mur, d'un plancher, d'un perron, d'un toit, etc.

      Par « ruine », on entend une désintégration totale d’un immeuble ou d'une partie de celui-ci, tels un escalier ou un ascenseur, tant que cette partie est une partie intégrante de l’immeuble, et non d’un bien s’y trouvant de manière accessoire, comme un pot de fleurs par exemple. Selon la jurisprudence, la ruine de l'immeuble semble impliquer la nécessité d'une certaine action dynamique ou, plus largement, d’un certain mouvement de la chose.

      Il n'est pas suffisant de démontrer un lien entre la ruine de l'immeuble et le dommage. En effet, il faut également prouver que la ruine provient d'un vice de construction ou d'un défaut d'entretien. Dans certaines circonstances, ce lien peut être présumé. Par ailleurs, l’obligation de sécurité du propriétaire n'est pas absolue. Il est seulement tenu de veiller à ce que la construction et l'entretien de l'immeuble soient suffisants pour répondre à un usage courant, normal et conforme à sa destination.

      La victime doit donc prouver tous les éléments nécessaires à la détermination de la responsabilité du propriétaire de l'immeuble, soit la propriété, la ruine de l'immeuble, le dommage, le lien de causalité entre la ruine et le dommage ainsi que le fait que la ruine de l'immeuble est attribuable à un vice de construction ou d'un défaut d'entretien. Dans la plupart des cas, le fardeau de preuve est difficile à satisfaire, la démonstration du vice de construction ou du défaut d'entretien requérant souvent une preuve d'expertise. À certaines occasions, en l’absence d’une preuve établissant directement ce lien, les tribunaux ont appliqué les principes relatifs à la présomption de fait pour établir l'existence d'un vice de construction ou d'un défaut d'entretien.

      Une fois établies et réunies les conditions d'application de la responsabilité résultant de la ruine de l'immeuble, le propriétaire ne peut s'exonérer que dans des cas très restreints. Comme nous l’avons vu, il peut invoquer la force majeure, la faute d'un tiers dont il n'est pas responsable ou la faute de la victime elle-même. Ainsi, l’ignorance du vice et/ou la simple démonstration par le propriétaire de l’immeuble du fait qu’il aurait bien entretenu l’immeuble s’avéreront insuffisantes pour qu’il puisse s’exonérer de sa responsabilité.

      3.1.2 Responsabilité résultant du fait des animaux

      Avoir la garde d'un animal, que l’on en soit ou non le propriétaire, équivaut à en assumer le contrôle, la surveillance ou la direction. Cela implique une obligation incombant au propriétaire ou au gardien de l'animal à veiller à ce que celui-ci ne subisse ou ne cause aucun dommage.

      En droit québécois, bien que les animaux soient désormais considérés comme des « êtres doués de sensibilité » ayant des impératifs biologiques, les dispositions du Code civil relatives aux biens leur demeurent néanmoins applicables (article 898.1 du Code civil du Québec). En responsabilité civile extracontractuelle, le législateur québécois a d’ailleurs choisi de soumettre la responsabilité résultant du fait des animaux à un régime de responsabilité distinct de celui qui s’applique aux autres biens.

      Le propriétaire d'un animal, ou la personne qui a en sa possession l'animal d'un autre, créé, par la simple présence de celui-ci auprès des autres, un risque général pour ces derniers. Si ce risque se réalise et que l'animal cause un dommage, la responsabilité du propriétaire et de celui en ayant la garde est engagée, peu importe qu'ils aient pris les moyens raisonnablement prudents et diligents pour prévenir sa survenance. En effet, seule la preuve d'une force majeure, de la faute de la victime ou d'un tiers permet d’exonérer le propriétaire de l'animal ou de son gardien. Le fait que l'animal ait été bien dressé ou soit normalement docile n'entre pas en ligne de compte, quoique la preuve du caractère de l'animal puisse parfois être prise en considération par les tribunaux. On remarque, en effet, que les juges ont tendance à se montrer sévères envers les victimes qui connaissaient ou devaient normalement connaître le caractère vicieux d’un animal.

      Il existe trois circonstances dans lesquelles le propriétaire sera tenu responsable du fait de l'animal : lorsqu'il a la garde de l'animal, lorsque celle-ci est assumée par quelqu'un d'autre et lorsque l'animal s'est échappé. Leur devoir est de contrôler adéquatement l'animal lorsqu'il en a la possession et de le surveiller pour éviter qu'il ne s'échappe.

      Pour que le régime de responsabilité du propriétaire s'applique, il faut que la victime prouve les éléments suivants :

      1. le dommage a été causé par le fait d'un animal;
      2. il existe une relation de propriété ou de garde entre l'animal et le défendeur; et
      3. il y a un lien de cause à effet entre le fait de l'animal et le préjudice subi par la victime.

      Par le fait de l'animal ayant causé un dommage à une autre personne, le propriétaire ou l'usager est présumé responsable. Il ne s'agit donc pas d'une présomption de faute, mais d'une présomption de responsabilité. Le propriétaire et l'usager ne peuvent donc pas repousser cette présomption en invoquant une absence de faute de leur part: ils doivent démontrer que le dommage résulte soit d'une force majeure, de la faute de la victime ou de la faute d'un tiers. À cet égard, il importe de souligner que le comportement imprévisible d’un animal apeuré par un phénomène externe à la victime peut être assimilé à la force majeure si ce phénomène rencontre les caractéristiques de la force majeure.

      La faute de la victime peut servir soit à éliminer totalement la responsabilité du propriétaire ou de l'usager de l'animal, soit à la mitiger lorsqu'elle n'a fait que contribuer au dommage subi. Les tribunaux exigent généralement une prudence élémentaire à l'égard des animaux dont les réactions sont souvent imprévisibles, et retiennent une faute chez la victime qui n'a pas observé cette prudence en provoquant l'animal, en l'effrayant ou en ne prenant pas à son endroit les précautions que la situation imposait.

      À titre d’exemple, une personne, avertie du danger qu'elle court, qui pénètre tout de même sur un terrain gardé par un chien a contribué par sa faute au préjudice subi. Le droit québécois ne fait pas de distinction entre le fait que la victime ait pénétré sur la propriété du gardien avec ou sans autorisation. Par ailleurs, le fait que le propriétaire avertisse le public de la présence de l'animal (en affichant, par exemple, à l'entrée de sa propriété, une pancarte sur laquelle on peut lire « attention, chien méchant ») ne constitue pas une justification suffisante et ne le dispense pas pour autant de prendre les précautions nécessaires pour éviter les accidents préjudiciables.

Conclusion

De façon fort compréhensible, la victime d'un préjudice se retrouve souvent dans une situation éprouvante, tant émotionnellement que financièrement, quand vient le temps de poursuivre en justice l'auteur de son préjudice. Les médias nous donnent souvent en exemple des cas de poursuites judiciaires aux États-Unis, dans le cadre desquelles les victimes se voient octroyer des sommes astronomiques par un jury (les procès civils ne sont pas tenus devant jury au Québec) pour des dommages matériels, moraux et/ou punitifs.

Bien que les cours américaines accordent plus souvent qu'elles ne le devraient de telles compensations, les cours canadiennes et québécoises n'en sont pas rendues là. Les juges du Québec et du reste du Canada font preuve d'une plus grande retenue, et évaluent les dommages de façon plus raisonnable que nos voisins du Sud. Bien que l’on puisse se demander si cette tendance se maintiendra, notamment en raison d’interrogations de journalistes et d’experts sur l’attitude conservatrice de nos magistrats dans le cadre de poursuites en dommages-intérêts, la jurisprudence atteste d’une perpétuation de cette tendance à la modération et ne laisse guère présager un changement de cap à cet égard. Quoi qu'il en soit, il est à souhaiter que nous ne voyions pas poindre une disproportion entre le préjudice effectivement subi par une personne et la compensation obtenue.


Dernière mise à jour : 22 juillet 2019


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