Explications sur le jugement Lola c. Éric | Réseau juridique

Comprendre Lola c. Éric...Le jugement de la Cour suprême pour les nuls!


Me Sylvie Schirm, avocate, Laval


Il n’est pas toujours facile de rendre un jugement de la Cour suprême simple et pouvoir l’expliquer sans donner un cours de droit...de plusieurs sessions!

Je vais donc tenter ici de vous expliquer, de la façon la plus simple possible, la pensée des juges qui ont rendu la décision dans Lola c. Éric.

Tout d’abord, rappelons-nous que la question devant les tribunaux n’était pas de déterminer le montant que Éric devait payer à Lola, mais plutôt si Lola était victime de discrimination, car elle, comme tous les conjoints de fait, ne pouvait pas demander une pension alimentaire à son conjoint de fait pour elle-même et, qu’en plus, elle n’avait pas les mêmes droits que les gens mariés, c’est à dire, d’obtenir le partage des biens et autres mesures de protection comme la résidence familiale. 

La question se pose ainsi :

Les articles 401 à 430, 432, 433, 448 à 484 et 585 du Code civil du Québec (qui traitent de la pension alimentaire et le partage des biens excluant les conjoints de fait), contreviennent-ils au par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés?

Le paragraphe 15(1) de la Charte se lit ainsi :

15. (1) La loi ne fait exception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Si la réponse à cette question est OUI, alors on passe à l’étape suivante, car une loi peut être discriminatoire, mais cette discrimination peut être permise.  Donc la deuxième question est la suivante:

Dans l’affirmative, s’agit-il d’une limite raisonnable prescrite par une règle de droit dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

L’article premier se lit ainsi :

La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Bref, on peut décider qu’une loi est discriminatoire, mais qu’elle peut être justifiée, et donc, elle demeure intacte et ne sera pas changée.

LES JUGEMENTS

Cette cause a procédé devant les trois instances :

Cour supérieure du Québec :       16 juillet 2009                (1 juge)
Cour d’appel du Québec :            3 novembre 2010            (3 juges)
Cour suprême du Canada :           25 janvier 2013              (9 juges)

Le premier jugement, soit celui de la Cour supérieure, avait décidé que les conjoints de fait n’étaient pas victimes de discrimination et que le Code civil du Québec n’était pas discriminatoire.  Voici ce que dit la juge Carole Hallée de la Cour supérieure dans le premier jugement rendu :

 [284] En favorisant la faculté des conjoints de faire le choix de se marier ou non, le Législateur québécois respecte l'une des valeurs fondamentales de la Charte, soit le droit à la liberté.

[285] Les conjoints de fait au Québec ne font l’objet d'aucune marginalisation, d'aucun stigmate, ni d'aucun préjugé. Dans notre société, l’union de fait représente un choix de vie tout aussi légitime et accepté que le mariage.

[289] La requérante voudrait que le Tribunal modifie la politique publique du Québec à' l'égard des conjoints de fait en raison du fait que le droit québécois n'a pas évolué comme elle l'aurait souhaité. La requérante plaide qu'il revient à cette Cour, à la lumière d'une preuve objective, d'interpréter et jauger ce qu'elle qualifie d'inaction du Législateur québécois en ce qui a trait à l'absence d'encadrement de la situation juridique des conjoints de fait

Lola, insatisfaite, porte la cause devant la Cour d’appel qui siège à trois juges.  La Cour d’appel, sous la plume de la juge Julie Dutil, unanimement, donne raison à Lola et considère que les conjoints de fait sont victimes de discrimination et que l'omission d'inclure les conjoints de fait dans l'article 585 du Code civil du Québec n'est pas justifiée en vertu de l'article 1 de la Charte.

La Cour dit ceci :

[107] L'obligation alimentaire a donc toujours visé la cellule familiale, laquelle, au fil des années, a évolué. Tel que je l'ai mentionné, au Québec, en 2006, 34,6 % des couples étaient des conjoints de fa it alors que, dans le reste du Canada, cette proportion était de 18,4 %. En outre, déjà en 2002, 60 % des enfants québécois naissaient de ces unions. Même en ne considérant que ces données, on constate que la cellule familiale québécoise actuelle comprend celle formée par les conjoints de fait et que la majorité des enfants y naissent maintenant. En les ignorant, comme le fait le législateur, plus du tiers des couples québécois se trouvent exclus d'une mesure de protection qui vise pourtant cette cellule familiale.

[108] Les critères retenus par le législateur pour qu'un droit de réclamer des aliments existe, soit qu'il y ait eu mariage ou union civile, ne tiennent pas compte de la réalité sociale. La raison d'être d'une obligation alimentaire entre ex-conjoints est de permettre que la personne qui n'est pas en mesure de subvenir à ses besoins après une rupture en raison, par exemple, d'un lien de dépendance économique qui s'est créé pendant l'union puisse obtenir une pension alimentaire de son ex-conjoint qui a les moyens de l'aider. Or, que le couple ait vécu en union de fait, en union civile ou dans le cadre d'un mariage ne change rien aux besoins alimentaires d'un des ex-conjoints lorsque survient une séparation.

Le Procureur général du Québec, qui était parti à la cause, car elle est de nature constitutionnelle, porte la cause en appel devant la Cour suprême.

L’audition à la Cour suprême a eu lieu le 18 janvier 2012.  Plus d’un an plus tard, soit le 25 janvier 2013, la Cour suprême rend sa décision et Lola perd sa cause....par une seule voix!

Il est important ici de mentionner que la Cour suprême est composée de 9 juges, dont trois proviennent du Québec.  Les juges Deschamps, Lebel et Fish sont les juges qui y siègent pour le Québec.

Voici comment les juges ont répondu à la question constitutionnelle :

Les articles 401 à 430, 432, 433, 448 à 484 et 585 CCQ contreviennent-ils à l’article 15(1) de la Charte canadienne?

Les juges McLachlin, Abella, Deschamps, Cromwell et Karakatsanis disent OUI.  Donc, la majorité (cinq juges sur neuf) considère que la loi est discriminatoire à l’égard des conjoints de fait.

Les juges Lebel, Fish, Rothstein et Moldaver répondent NON à cette question.

Ensuite, pour les 5 juges (donc, la majorité) qui disent OUI à la discrimination, ils doivent répondre à la deuxième question :

Si oui, s’agit-il d’une limite raisonnable prescrite par une règle de droit dont la justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique au sens de l’article 1?

Et voilà qu’ici, les 4 juges majoritaires (Juges Abella, Deschamps, Cromwell and Karakatsanis) disent que NON, donc, il n’y a pas de justification, mais la juge en chef McLachlin qui a dit qu’il y avait de la discrimination, dit que cette discrimination est justifiée et donc, le sort de la cause est jeté, car 5 juges sur 9 considèrent que la loi qui n’accorde pas aux conjoints de fait le droit d’obtenir une pension alimentaire en cas de rupture ne sera pas modifié.

Voici la raison donnée par la juge en chef McLachlin :

 [415] Je suis d’accord avec le juge LeBel pour conclure que le modèle québécois est constitutionnel. Contrairement à lui, je conclus toutefois — comme le font mes collègues les juges Deschamps et Abella — que les dispositions législatives en cause violent le droit à l’égalité garanti par l’art. 15 de la Charte. Cependant, j’estime que cette atteinte au droit à l’égalité que la loi impose aux conjoints de fait constitue une limite raisonnable qui se justifie dans une société libre et démocratique. Le Québec vise à accroître le libre choix des personnes en couple ainsi que leur  autonomie. C’est un objectif important pour la province. Traiter les conjoints de fait différemment des couples mariés ou unis civilement favorise cet objectif et le fait de manière proportionnée. Le fait que le Québec ait choisi une politique différente de celles adoptées par les autres provinces, et ce, en conformité avec son histoire et ses valeurs sociales propres, n’invalide pas pour autant son régime législatif.

[426] Le modèle québécois a pour effet de priver les ex-conjoints de fait des importantes mesures de protection qu’il consent aux ex-conjoints mariés ou unis civilement, et ce même si, dans les faits, ils pourraient ne pas avoir réellement exercé un choix de régime. Il est raisonnable d’en déduire, sous réserve d’une analyse complète des facteurs contextuels pertinents, que la loi qui les prive de ces mesures de protection les traite comme s’ils étaient moins dignes d’intérêt, de respect ou de considération.

[449] L’incidence du régime québécois sur l’exercice et la jouissance du droit à l’égalité est considérable. Cependant, les effets discriminatoires de l’exclusion des conjoints de fait du régime obligatoire sont atténués à l’ère moderne par rapport à ce qu’ils étaient à divers moments antérieurs de l’histoire du Québec. Les dispositions contestées ne semblent pas perpétuer d’animosité à l’endroit des conjoints de fait. Toutes les parties au présent litige ont convenu que l’union de fait est populaire au Québec et qu’il n’y est plus rattaché quelque stigmate que ce soit. De nombreuses personnes vivant en couple au Québec comprennent la possibilité qui est la leur de structurer leur relation autrement que par le seul mariage traditionnel et s’en prévalent. Les dispositions contestées accroissent le libre choix et l’autonomie de nombreux conjoints de même que leur capacité à donner un sens personnel à leur relation. C’est à la lumière de ces réalités qu’il faut mesurer le coût de l’atteinte au droit à l’égalité pour les personnes comme A qui n’ont pas réellement pu faire un choix. Il est possible de prétendre, à tort ou à raison, que la situation de femmes comme A peut mener à la conclusion que le modèle québécois n’offre qu’une autonomie formelle et une liberté illusoire. Cependant, la question que doit trancher la Cour est celle de savoir si le malheureux dilemme auquel sont confrontées les femmes comme A est disproportionné par rapport à l’ensemble des avantages que procure le texte législatif, au point de le rendre inconstitutionnel. Compte tenu de la nécessité de laisser au législateur une certaine latitude quant aux questions sociales difficiles à trancher ainsi que de la nécessité d’être sensible à la responsabilité qui incombe à chaque province, en vertu de la Constitution, de légiférer pour sa propre population, c’est par la négative qu’il faut répondre à la question.

Le juge Lebel, écrivant pour les juges qui ont dit qu’il n’y avait pas de discrimination, dit ceci :

[257] (ce pourvoi) ...met en cause les droits et obligations mutuels des conjoints en vertu des différentes formes d’union conjugale qui leur sont offertes par la loi au Québec. Dans tous les cas, selon le droit de la famille du Québec, ces droits et obligations offerts à tous ne sont imposés à personne. Leur mise en œuvre dépend d’une volonté mutuelle explicite de se lier. Ce consentement explicite et non présumé constitue la source des obligations de soutien alimentaire et de partage des intérêts patrimoniaux entre conjoints. Comme on l’a vu, ce consentement s’exprime en droit québécois par la conclusion d’un mariage, d’une union civile ou d’une entente de vie commune. L’entrée dans les régimes de protection prévus par la loi repose, nécessairement, sur un consentement mutuel. À cet égard, la conclusion des contrats de vie commune permet aux conjoints de fait de créer entre eux les rapports juridiques qu’ils estiment nécessaires sans devoir modifier la forme de conjugalité dans laquelle ils ont situé leur vie commune.

[260] ... Dans la mesure où nous acceptons que la liberté de décision et l’autonomie personnelle ne sont pas de pures illusions, la décision d’un individu de continuer sa vie conjugale avec un conjoint qui refuse de se marier possède la même valeur que celle d’un conjoint qui cède à une demande pressante de conclure un mariage.

La juge Abella s’exprime ainsi :

[378] En raison de cette exclusion (de la loi), les conjoints de fait susceptibles d’être vulnérables se voient contraints, contrairement aux conjoints également susceptibles d’être vulnérables, mais vivant au sein d’unions formelles, de consacrer temps, efforts et argent pour tenter d’obtenir une forme ou une autre d’assistance financière. Le conjoint vulnérable qui ne fait pas ces démarches, soit par absence de connaissances ou par manque de ressources, soit parce que les solutions qui lui sont ouvertes sont limitées par un conjoint non coopératif, demeurera sans protection. En cas de rupture, les conséquences pour un tel conjoint vulnérable peuvent s’avérer catastrophiques, comme c’est le cas pour les conjoints financièrement dépendants vivant au sein d’unions formelles. Or, la différence tient à ce que les seconds ont d’office accès à de possibles réparations financières. Les conjoints de fait n’ont pour leur part pas accès à ces possibilités.

La juge Deschamps, elle, s’exprime ainsi :

[396] ... il est difficile d’imaginer pourquoi les conjoints de fait qui pourraient ne pas avoir été libres de choisir d’officialiser par un mariage ou une union civile leur relation avec leur conjoint, mais qui vivent par ailleurs avec celui-ci comme une "unité familiale", ne pourraient pas avoir droit à une pension alimentaire. Pour une telle personne, la faculté qu’ont les parties, selon le procureur général, de choisir de se marier ou de s’unir civilement, n’en est pas vraiment une. Comme le reconnaît la majorité de la Cour dans l’arrêt Miron, il est possible qu’un couple ne soit pas marié en dépit du désir profond de l’un des membres du couple, la partie vulnérable. Comme l’a dit la juge McLachlin, la liberté de choix est, ou peut être, théorique.

Il y a lieu donc de souligner que même si Lola n’a pas gagné, la majorité des juges de la Cour suprême sont arrivés à la conclusion que la loi est discriminatoire à l’égard des conjoints de fait.

Et maintenant? En effet, la balle est maintenant dans le camp du législateur, soit nos politiciens à l’Assemblée nationale. Depuis ce jugement, le Ministre de la justice a nommé un comité consultatif afin de faire une révision complète du droit de la famille.  Le débat n’est donc pas terminé...


Dernière mise à jour : 23 Mai 2013

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