Le congédiement administratif en cinq étapes | RJQ

Le congédiement administratif en cinq étapes


Me Emira Tufo, avocate au cabinet Colby Monet LLP


AVIS AUX LECTEURS


Le présent texte constitue un ouvrage de référence faisant partie intégrante de la "Banque de textes juridiques historiques" du Réseau juridique du Québec.

L'information disponible est à jour à la date de sa rédaction seulement et ne représente pas les changements législatifs et jurisprudentiels en vigueur depuis sa rédaction.


Contenu

Introduction

Congédiement administratif v. Congédiement disciplinaire

Processus menant à un congédiement administratif

Obligations de l’employeur envers un employé non performant dans le contexte de l’évolution de son poste

L’obligation de moyens et les atteintes bien justifiées

Rendement pendant une période d’essai

Conclusion


Introduction

Il y a douze ans que la Cour d’appel a rendu sa décision dans Costco Wholesale Canada Ltd. c. Laplante (2005 QCCA 788) [Costco] confirmant les cinq critères que doit respecter un employeur avant de procéder au congédiement administratif d’un employé, soit un congédiement motivé par l’incompétence et l’incapacité de l’employé à répondre aux exigences de son travail.  Tel qu’énoncé par la Cour dans Costco, avant qu’un employeur procède à un congédiement administratif : 

  • Le salarié doit connaître les politiques de l'entreprise et les attentes fixées par l'employeur à son égard;
  • Ses lacunes lui ont été signalées;
  • Il a obtenu le support nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs;
  • Il a bénéficié d'un délai raisonnable pour s'ajuster;
  • Il a été prévenu du risque de congédiement à défaut d'amélioration de sa part.

Les critères de Costco  continuent de guider les décisions plus récentes de la Commission des relations du travail (le « CRT » (maintenant le Tribunal administratif du travail)) ainsi que les décisions des arbitres de griefs.  Il est, d’ailleurs, possible d’y ajouter certains raffinements.

Congédiement administratif v. Congédiement disciplinaire

Dans un premier temps, il est important de souligner la distinction entre un congédiement administratif et un congédiement disciplinaire, car la ligne entre les deux n’est pas toujours claire.  Tel qu’énoncé par la CRT dans Noivo et 9196-3702 Québec inc. (Subaru Rive-Nord) (2012 QCCRT 602) [Noivo] en se basant sur la décision de la Cour d’appel dans l’affaire du Syndicat des employés municipaux de Jonquière c. Jonquière (D.T.E. 98T-33 C.A.), la distinction entre les deux types de congédiements repose sur le caractère intentionnel ou non d'un manquement commis par un salarié.  Au niveau disciplinaire,  c’est le manquement volontaire du salarié qui est visé.  En ce qui concerne le congédiement administratif, celui-ci est fondé sur les manquements involontaires, notamment l'incompétence ou l'incapacité.  Plus spécifiquement, la mesure disciplinaire ne peut s’appliquer qu’à la faute volontaire du salarié, puisqu’elle vise principalement à punir pour corriger (C. D’AOUST, L. LECLERC, G. TRUDEAU, Les mesures disciplinaires : Étude jurisprudentielle et doctrinale, Montréal, École des relations industrielles de l’Université de Montréal, 1982, à la p. 72). 

Il peut cependant arriver qu’un employeur se trouve devant une situation comportant des éléments des deux genres de congédiements.  Dans l’affaire Piché et Impérial Tobacco Compagnie ltée (2012 QCCRT 600) [Imperial Tobacco], par exemple, l’employée, une représentante des ventes, s’est avérée incapable de répondre aux exigences de son travail.  De plus, elle avait contrevenu à certaines politiques internes de son employeur à plusieurs reprises.  Selon la CRT :   

    [143]     Dans le présent dossier, les parties ne s’entendent pas sur la nature du congédiement. La plaignante soutient qu’il est disciplinaire alors que l’employeur soutient qu’il est de nature administrative.

    [144]     Certains reproches d’Impérial Tobacco à l’endroit de la plaignante étaient de nature disciplinaire et d’autres de nature administrative.

    [145]     Toutefois, il importe de considérer que ces reproches n’étaient pas d’égale importance, cela apparaît clairement de la preuve et plus particulièrement dans la manière dont l’employeur les a traités.  Par exemple, les causes qui pourraient être qualifiées de disciplinaires, telles que la non-participation à une activité de groupe (voyage à New-York), billets de hockey, défaut d’aviser à l’avance pour une absence, retours d’appels trop longs, etc., apparaissent  pratiquement comme des évènements anecdotiques, en comparaison aux efforts que l’employeur a déployés pour tenter d’améliorer le rendement de la plaignante, tout au long de la relation d’emploi.

Évidemment, dans les situations où l’employeur se trouve devant des faits mixtes, c’est le motif prédominant qui déterminera la nature du congédiement.
 
Dans la même affaire, la CRT explique la nature de sa propre intervention dans les deux contextes : quant au congédiement de la nature administrative, l’intervention de la CRT s’avère plus limitée et prendra la forme d’une vérification du caractère arbitraire, abusif, déraisonnable ou discriminatoire de la décision de l’employeur.  Par contre, si le congédiement est de nature disciplinaire, la Commission devra s’assurer que l’employeur a suivi un processus de gradation de la sanction, adapté à la gravité de la faute, que la salariée a bien compris la cause du reproche et qu’elle a eu l’occasion d’amender sa conduite.  Par ailleurs, le processus menant à un congédiement administratif n’est pas moins important, c’est ce que nous allons voir dans la prochaine section.

Processus menant à un congédiement administratif

Même si l’intervention de la Commission est plus limitée dans le contexte d’un congédiement administratif, le fardeau de la preuve pour un employeur demeure exigeant.  Selon la jurisprudence, il n’est pas suffisant de simplement prouver l’incompétence de l’employé.  L’employeur qui veut congédier pour motif d’incompétence doit démontrer qu’il a répondu aux cinq critères de Costo.  Il est très important, à cet égard, de bien documenter non pas seulement le rendement de l’employé, mais aussi les mesures entreprises pour l’aider à s’améliorer.

Dans L’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (L’Association) et Sûreté du Québec (2015 CanLII 60646 (QC SAT)) [L’Association des policières], la preuve administrée à l’égard de la prestation d’un policier a reposé sur des évaluations quotidiennes, mensuelles, trimestrielles, et annuelles écrites.  L’employé a été avisé que son rendement était insatisfaisant et que l’absence d’amélioration pouvait entrainer son congédiement.  L’employé a également bénéficié d’un plan d’encadrement suivi pendant plus d’un an afin de l’aider à s’améliorer.  Malheureusement, il n’y est pas arrivé.  Selon l’arbitre : « Monsieur Tremblay a eu toutes les chances de corriger ses lacunes. Il n’a pas réussi à le faire. Les plans d’encadrement n’ont pas donné les résultats souhaités et, de guerre lasse, l’Employeur s’est résolu à congédier monsieur Tremblay ». Il convient de noter que l’arbitre a conclu que l’employeur avait simplement une obligation de moyen dans la matière.

Dans l’affaire Impérial Tobacco, précitée,l’employée a bénéficié d’un encadrement dès le départ de son engagement, en recevant une formation théorique et pratique préalable de six semaines.  Par la suite, elle a bénéficié d’une formation continue.  Comme les autres représentants, elle avait, d’ailleurs, fait l’objet d’un suivi soutenu. Elle recevait une évaluation à la mi-année et une autre à la fin de l’année.  De plus, elle avait accès à une forme d’évaluation continue, soit un document informatique utilisé par le directeur de son district pour colliger des informations positives ou négatives sur sa performance.  Selon la CRT, cette façon de faire a permis à la plaignante de connaître tant ses lacunes que les attentes de son employeur. Elle connaissait également la conséquence du défaut de s’améliorer.  Force est de constater que dans les deux cas, l’employeur a choisi de combler les lacunes professionnelles de l’employée en mettant en œuvre un programme formel d’encadrement.  Ceci est d’ailleurs une étape très importante pour démontrer la bonne foi de l’employeur dans le contexte d’un congédiement administratif.   

Obligations de l’employeur envers un employé non performant dans le contexte de l’évolution de son poste

L’affaire Imperial Tobacco est intéressante quant à l’évolution de la performance de l’employée ainsi que les obligations de l’employeur dans le contexte d’une nouvelle baisse de la performance.  Comme dans l’affaire l’Association des policières, la plaignante a bénéficié d’un plan de redressement du rendement pendant plus d’un an, ce qui a donné des résultats – mais très temporairement.  Suivant l’introduction d’un nouveau programme de ventes par Imperial Tobacco, la plaignante s’est retrouvée dans la même situation, soit encore incapable de répondre aux exigences de son travail.  Selon la CRT :

    [171]     La preuve a démontré que la plaignante n’a pas été en mesure de s’adapter à l’évolution de son poste malgré le soutien qui lui a été donné, et, plus particulièrement, de soutenir les exigences requises pour occuper un poste de représentante au sein d’Impérial Tobacco.

Bien évidemment, l’employeur n’est pas obligé d’offrir un soutien permanent pour permettre à l’employé de s’adapter à chaque nouvelle étape de son travail.   

L’obligation de moyens et les atteintes bien justifiées

L’obligation de moyens n’appartient pas seulement à l’employeur.  Dans certains contextes, l’employé lui-même n’est pas tenu à une obligation de résultat et surtout dans les cas où les objectifs établis par l’employeur ne sont pas raisonnables ou justifiés.

Dans l’affaire Noivo, l’employeur, un concessionnaire d’automobiles de marque Subaru, a mis fin à l’emploi du requérant le 29 octobre 2010 parce que celui-ci n’a pas atteint ses objectifs de ventes depuis mai 2010.  Ses chiffres de vente étaient quand même respectables, tandis que les objectifs établis par Subaru semblaient plutôt aléatoires.  La CRT s’est prononcé comme suit :

    [48] … la Commission ne partage pas le point de vue que le vendeur a une obligation de résultat…  il est faux de penser que le vendeur a un certain contrôle sur le contexte économique, il ne peut pas forcer un client à acheter si celui-ci trouve que les prix ne lui conviennent pas. C’est toujours l’employeur qui peut déterminer la marge de profit acceptable pour une vente, le vendeur n’a pas le contrôle de cette partie. Donc, pour la Commission, le vendeur n’a pas l’obligation de résultat.

    [57]      Monsieur Giguère fait longuement état des objectifs de ventes du plaignant, cependant rien dans la preuve ne démontre que ces objectifs étaient réalistes pour ce dernier. Aucune preuve, autre le simple fait de dire que Subaru a fixé des chiffres de vente, n’a été présenté à l’audience. On ne sait pas sur quoi ces chiffres sont basés.

    [60]      Il est difficile de trouver le plaignant incompétent ou incapable de vendre lorsque l’intimée n’est pas en mesure de justifier les objectifs qu’elle a déterminés.

Dans l’affaire Noivo, Subaru a décidé d’augmenter les objectifs de ventes annuelles pour ses représentants de 50%.  Monsieur Giguère n’était pas le seul qui n’a pas réussi à atteindre les nouveaux objectifs.  Il était, cependant, le seul qui a été congédié à cause de ce défaut.  Quant à l’employeur, il a omit de fournir une analyse concernant la capacité de vente du plaignant.  En examinant les chiffres pertinents, le CRT a conclu :

    [66]      Quand on compare avec certains représentants, force est de conclure que ce n’est certes pas le reflet d’un employé incompétent ou incapable professionnellement de faire son travail.

Et cela est très important à noter : si l’employeur ne démontre pas l’incompétence de l’employée, le Tribunal administratif du travail pourra scruter les chiffres pertinents afin d’arriver à la conclusion contraire.  Dans l’affaire Novo, la CRT a également comparé la performance et le sort du plaignant avec celui des autres représentants et est arrivé à la conclusion que le plaignant était le seul employé congédié à cause du manque de performance alléguée.   De plus, la CRT a ajouté :

    [68]      Par ailleurs, si l’intimée avait réussi à prouver l’incompétence ou l’incapacité du plaignant, elle aurait aussi échoué. En effet, sans reprendre un à un les critères, l’affaire Laplante c. Costco précitée, il faut conclure que certains critères n’ont pas été respectés.

    [69]      En cas de difficulté, le salarié doit être avisé de ses lacunes et bénéficier du support de son employeur. Dans le présent cas, aviser de ses lacunes ne veut pas dire de l’informer qu’il ne rencontre pas le chiffre de vente. Le fait de ne pas rencontrer les objectifs de ventes n’est pas une lacune, mais uniquement le résultat. Rien dans la preuve soumise ne permet d’indiquer quelles étaient les lacunes du plaignant.

    [73]      En effet, quel support particulier était nécessaire au plaignant pour l’atteinte des objectifs? L’intimée ne démontre pas de démarches pour cibler les lacunes du plaignant ni un plan d’action pour les corriger.

Évidemment, un plan d’action pour soutenir un employé confronté à des difficultés de compétence demeure un pilier très important pour démontrer un congédiement administratif justifié.  

Rendement pendant une période d’essai

Dans l’affaire Fortin et Gatineau (Ville) (2014 QCCRT 264), le plaignant a été congédié pendant qu’il était toujours en période d’essai.  Pendant ce temps, le plaignant a vécu des choses très difficiles.  La CRT a reconnu que l'employeur était en droit de s'attendre à un certain niveau de rendement, ayant fourni le soutien nécessaire, en ajoutant qu’en période d’essai, l'employeur avait le droit d'être exigeant.  En reconnaissant que les attentes étaient élevées, la CRT a souligné qu’elles n’étaient pas impossibles : les deux collègues du plaignant ont obtenu leur permanence.  La comparaison avec les autres employés qui se trouvent dans les mêmes circonstances demeure donc un repère assez important pour l’analyse.

Conclusion

Pour résumer, avant qu’il y ait un congédiement administratif, le salarié doit connaître les politiques de l'entreprise et les attentes fixées par l'employeur à son égard, ses lacunes doivent lui être signalées, il a le droit d’obtenir le support nécessaire pour se corriger et le droit à un délai raisonnable pour s'ajuster.  Finalement, l’employeur doit prévenir le salarié du risque de congédiement à défaut d'amélioration de sa part.  Documenter toutes ces étapes est de la plus grande importance.  Un programme formel d’amélioration démontre la bonne foi de l’employeur.  L’employeur n’est pas obligé d’aider l’employé non-performant à chaque fois que ses tâches et responsabilités évoluent.  Cependant, le Tribunal administratif du travail ne se gênera pas pour comparer le rendement de l’employé congédié avec celui de ses collègues, ni de se questionner si les objectifs de l’employeur étaient raisonnables et justifiés.


Dernière mise à jour au 21 avril 2017


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