Le Réseau juridique du Québec: Le congédiement déguisé

Le congédiement déguisé


Me Michaël Plante, avocat, Miller Thomson, Montréal

Avec la collaboration de Jessica Provencher-Garand, étudiante en droit.


Contenu


Introduction

Au Québec, la notion de congédiement déguisé a longtemps été la source de questionnements et de controverses. Bien que ce concept soit connu des tribunaux, aucune définition formelle n’est établie dans les textes de loi régissant le droit du travail.

Contrairement à la croyance populaire, le congédiement formel n’est pas la seule façon pour un employeur de mettre fin au contrat de travail d’un employé. En 1997, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Farber c. Trust Royal Cie., s’est prononcée sur la notion et l’a définie de la manière suivante :

Lorsqu’un employeur décide unilatéralement de modifier de façon substantielle les conditions essentielles du contrat de travail de son employé et que celui-ci n’accepte pas ces modifications et quitte son emploi, son départ constitue non pas une démission, mais un congédiement. Vu l’absence de congédiement formel de la part de l’employeur, on qualifie cette situation de « congédiement déguisé ».

À la suite de cet arrêt de principe, les tribunaux ont appliqué cette notion à maintes reprises. Étant un concept en constante évolution, les juges ont dû l’ajuster aux réalités contemporaines du monde du travail.

Principes généraux

Afin de déterminer s’il y a réellement eu congédiement déguisé, il faut préalablement faire une analyse en deux étapes. La première consiste à établir une violation grave d’une condition, expresse ou tacite, du contrat de travail. Cette violation doit démontrer la volonté de l’employeur de ne plus être lié par ce contrat. Le second volet prend la forme de la question suivante : est-ce qu’une personne raisonnable, placée dans la même situation que l’employé, conclurait que son employeur a modifié substantiellement les conditions essentielles de son contrat de travail ? Si la réponse est affirmative, il y a congédiement déguisé.

Pour que l’analyse soit faite adéquatement, le juge ne doit prendre en considération aucune projection hypothétique afin de déterminer si l’offre de l’employeur était raisonnable. Ce qui est déterminant est l’offre elle-même et non les résultats à venir. De plus, il est primordial que l’employé refuse cette offre, sans quoi il sera considéré qu’il a accepté les modifications.

Jusqu’à récemment, le congédiement déguisé prenait la forme d’un seul acte unilatéral qui entrainait violation d’une condition essentielle au contrat de travail. Dans l’arrêt de 2015, Potter c. Commission des services d’aide juridique du Nouveau-Brunswick, la Cour suprême du Canada est venue peaufiner le concept de congédiement déguisé. Ainsi, lors de l’application du deuxième volet, la modification peut prendre la forme d’une série d’actes qui, considérés ensemble, montrent l’intention de l’employeur de ne plus être lié par le contrat.

Décisions reconnaissant des situations de "congédiement déguisé"

En 2016 et en 2018, la Cour supérieure s’est prononcée sur l’application de ces deux arrêts de principes.

Dans la très récente décision Roadnight c. Costco Wholesale Canada Ltd. & Jean-François Dufour (18 avril 2018), la demanderesse Susan Roadnight a été victime d’un congédiement déguisé, en application des principes de l’arrêt Farber.

La décision Accès Santé mentale cible au travail c. Commission des relations du travail (5 mai 2016), reprenant les principes de l’arrêt Potter, voulant qu’une série d’actes qui, considérés ensemble, montrent l’intention de l’employeur de ne plus être lié par le contrat de travail, a reconnu que la mise en cause Sylvie Pelletier avait été victime d’un congédiement déguisé.

    Roadnight c. Costco Wholesale Canada Ltd. & Jean-François Dufour

    La demanderesse, Susan Roadnight, occupe un poste d’assistante-gérante au département de service chez Costco Wholesale Canada Ltd. Ses tâches varient au courant des années, mais leur importance lui confère le statut de cadre. Elle occupe ce poste depuis l’ouverture de la succursale à Sherbrooke en 1993.

    Le 14 septembre 2011, l’incident à l’origine du litige se produit. Jean-François Dufour, gérant de plancher au département de marchandise, organise une rencontre sans avertissement ni justification avec la demanderesse. Lors de cette rencontre, il tient envers elle des propos dénigrants et dévalorisants visant à l’insulter et à la rabaisser. Ces propos peuvent se résumer comme suit :

    M. Dufour l’informe qu’il a beaucoup entendu parler d’elle et qu’elle ne communique pas bien avec les gens. Il lui dit à plusieurs reprises qu’elle n’est pas aimée de ses collègues. Il lui mentionne qu’il y a un nuage noir au-dessus de son département et qu’elle est ce nuage noir. Il lui dit ensuite qu’elle n’est pas une bonne personne et qu’il ne l’a jamais aimée. Il la menace si elle prend un congé de maladie : « Tu vas travailler fort, tu vas avoir de la broue dans le toupet, tu vas t’arracher les cheveux de la tête, puis après ça là, les gens y tombent malade, tu sais, malade, puis tu sais que des papiers d’assurance ça peut se perdre, tu sais 4-5 mois, là, pas d’argent qui rentre, ça c’est plat tu sais ».

    Choquée par cette conversation, la demanderesse reste sans mot. Elle prend quelques journées de maladie pour s’en remettre.

    Quelques semaines plus tard, M. Dufour rencontre de nouveau Mme Roadnight, car deux employés ont rapporté que la demanderesse semblait éprouver des difficultés émotives et psychologiques au travail depuis leur rencontre. Lors de cette rencontre, M. Dufour lui mentionne que ses congés de maladie seront payés. Mme Roadnight verbalise alors les sentiments éprouvés le 14 septembre. Toutefois, M. Dufour ne lui explique aucunement la raison de ses commentaires et conclut que l’affaire est réglée.

    À la suite de cette rencontre, Mme Roadnight tombe en état dépressif. Elle a des problèmes d’insomnie, de concentration et de perte d’appétit. Elle consulte un médecin qui force l’arrêt de travail le 9 novembre 2011. Celui-ci se prolongera jusqu’en 2013.

    Entre temps, les parties entreprennent des discussions pour que Mme Roadnight réintègre son poste. Le Dr Poirier, médecin de la demanderesse, suggère fortement un recours à la médiation/conciliation pour assurer un retour au travail sain et harmonieux.

    De ce fait, les parties défenderesses se présentent à ladite rencontre de médiation à contrecœur, le 4 février 2014. Le climat est froid et tendu. En plus de ne pas réconcilier les parties, cette rencontre ne rassure pas Mme Roadnight quant aux intentions de Costco à lui procurer un milieu de travail sain. C’est à ce moment qu’elle informe le département des ressources humaines qu’elle ne souhaite plus réintégrer son poste.

    Le 16 septembre 2014, Mme Roadnight signifie aux défendeurs, Costco Wholesale Ldt et M. Dufour, une demande introductive d’instance pour congédiement déguisé. En effet, elle n’a pas senti qu’elle avait d’autres choix que de démissionner, vu l’attitude des défendeurs et leur fermeture d’esprit à son retour au travail.

    Dans ses conclusions, la demanderesse demande les indemnités suivantes : 111 666 $ en indemnité de congé, pour une période de 20 mois, 16 750 $ pour 13 semaines de rémunération de vacances non payées, la valeur de la contribution de Costco à son RÉER et 80 000 $ en dommages moraux.

    Le Tribunal conclu qu’il y a eu congédiement déguisé car :

    • Lors des rencontres en septembre 2011, M. Dufour n’a aucunement motivé ses propos et ses agissements ;

    • Dans les jours qui ont suivi, Mme Roadnight a discuté de la situation avec son gérant et un associé directeur qui n’ont rien fait ;

    • La directrice générale des ressources humaine de Costco n’a pris connaissance qu’en novembre 2013 que Mme Roadnight était en congé de maladie ;

    • Costco, malgré le fait qu’il bénéficie de la version de Mme Roadnight et des rapports médicaux expliquant la cause de ses problèmes de santé psychologique, suit aveuglément la prétention de M. Dufour, à l’effet qu’il n’a pas tenu de propos vexatoires ;

    • Lorsque Mme Roadnight a annoncé son désir de ne plus retourner au travail, la réaction et l’attitude passives de Costco et de M. Dufour, confirment qu’ils n’ont aucun intérêt ni volonté de voir Mme Roadnight retrouver sa place dans l’équipe.

    Il s’agit d’un congédiement déguisé puisque Costco avait comme véritable intention de se départir de Mme Roadnight. Le fait que l’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires afin de protéger la dignité de son employée constitue une modification substantielle des conditions de travail. De plus, une personne raisonnable placée dans la même situation serait également arrivée à la conclusion qu’il y a eu des modifications des conditions essentielles du contrat. En effet, ni Costco ni M. Dufour n’ont jamais tenté de la réintégrer.

    Le Tribunal condamne Costco et M. Dufour à indemniser Mme Roadnight de la façon suivante:

    • Condamne la défenderesse Costco Wholsale Canada ltd. à verser à la demanderesse, Susan Roadnight, la somme de 100 500 $ à titre d’indemnité de congé et de rémunération de vacances, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 10 juin 2014 ;

    • Ordonne à la défenderesse Costco Wholesale Canada ltd. de verser sa contribution dans le régime d’épargne enregistré de Rodnight pour une durée de 15 mois, à compter du 4 février 2014 ;

    • Condamne solidairement les défendeurs à verser à la demanderesse, Susan Roadnight la somme de 10 000 $ à titre de dommages moraux.

    Le Tribunal en est arrivé à ces conclusions en prenant en considération que la demanderesse était à l’emploi de Costco depuis 21 ans, qu’elle gagnait un salaire de 67 000 $ annuellement plus avantages sociaux, que son dossier disciplinaire était vierge et qu’elle prévoyait terminer sa vie active sur le marché du travail chez l’employeur.

    Accès Santé mentale cible au travail c. Commission des relations de travail

    Dans la décision Accès Santé mentale cible au travail c. Commission des relations du travail, le Tribunal reconnait que la situation de la mise en cause en est une de congédiement déguisé.

    Dans cette affaire, le Tribunal est saisi d’un pourvoi en contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par la CRT. En 2013, Sylvie Pelletier prétend avoir été congédiée pendant qu’elle était en congé de maladie. Elle avait déposé deux plaintes : une pour congédiement déguisé (art. 124 LNT) et l’autre pour avoir exercé un droit prévu par la loi (art. 122 LNT). Le Commissaire André Michaud a accueilli les deux plaintes en février 2015.

    La requérante est l’OSBL Accès santé mentale cible au travail. En 2013, Mme Pelletier y travaille depuis 25 ans. Elle se sent épuisée et prend trois semaines de vacances. À son retour, elle estime qu’elle a besoin de temps pour considérer sa place dans l’entreprise, puisqu’elle se sent toujours fatiguée. Elle prend alors les journées du 17, 18 et 19 juin pour réfléchir.

    M. Charbonneau, son patron, lui demande des explications concernant ses absences. Elle lui répond qu’elle pense prendre 13 semaines de congé auxquelles elle a droit vu le nombre d’années de service. M. Charbonneau lui refuse son congé. Il lui transmet un « Avis de retour au travail » et indique que ses absences du 17, 18 et 19 juin ne seront pas motivées. Il s’agit d’une sanction disciplinaire.

    Le 21 juin, Mme Pelletier remet à M. Charbonneau un certificat d’incapacité à travailler pour raison médicale valable pour un mois. Elle commence alors des traitements de psychothérapie. Le 5 juillet, M. Charbonneau transmet un nouvel « Avis de retour au travail ». Il dit ne pas reconnaitre la validité du certificat médical. Cet avis menace Mme Pelletier de congédiement si elle ne retourne pas au travail avant le 9 juillet.

    Mme Pelletier ne se présente pas au travail le 9 juillet. Le 25 juillet, M. Charbonneau fait suite à la demande de Mme Pelletier d’obtenir son relevé d’emploi. Celle-ci veut réclamer des prestations d’invalidité. Toutefois, M. Charbonneau inscrit dans la case "observations" que l’employée ne se présente pas au travail et lui remet un montant de 2 638,57 $.

    Mme Pelletier comprend par la remise de ce montant qu’on lui a versé sa paie de vacances parce qu’elle est congédiée. Le 29 juillet, elle dépose ses deux plaintes. M. Charbonneau prétend que ses plaintes sont non avenues puisque le relevé d’emploi ne signifiait pas qu’il l’avait congédiée. Il attend son retour le 6 août.

    Le Commissaire Michaud accueille la plainte pour congédiement déguisé. Il estime que les certificats médicaux fournis justifient que Mme Pelletier avait un motif raisonnable de s’absenter et que M. Charbonneau ne pouvait s’improviser médecin et décider qu’ils n’étaient pas valides. Il a donc congédié Mme Pelletier alors qu’elle avait un motif valable de ne pas retourner au travail.

    Le Tribunal rejette la demande en pourvoi de contrôle judiciaire de l'employeur, considérant que le Commissaire n'a pas rendu une décision déraisonnable en concluant qu’il y a eu congédiement déguisé pour les motifs suivants :

    • Le fait que l’employeur ait versé à Mme Pelletier le solde de ses vacances le 25 juillet laissait croire qu’il s’agissait de la fin de son emploi, puisque c’est normalement à ce moment que ce montant est versé.

    • Dans ses avis de retour au travail, l’employeur indiquait que si Mme Pelletier ne retournait pas au travail, elle devrait « assumer les conséquences de ses choix. » C’est d’ailleurs après avoir déclaré comme non concluants les certificats médicaux de Mme Pelletier que l’employeur lui verse son solde de vacances.

Décision ne reconnaissant pas une situation de "congédiement déguisé"

Quant à elle, la décision Martin c. Création Vie de Bois inc. (18 octobre 2016) a aussi repris les principes des arrêts Farber et Potter. Le Tribunal a toutefois déterminé que le demandeur, Yannick Martin, n’a pas subi de congédiement déguisé.

    Martin c. Création Vie de Bois inc.

    Dans la décision Martin c. Création Vie de Bois inc., le demandeur Yannick Martin dépose une plainte pour congédiement déguisé. Il est à l’emploi de la compagnie Créations Vie Bois inc. depuis une dizaine d’années lorsqu’il dépose sa plainte.

    Lors de son embauche en 2005, M. Martin ne signe aucun contrat de travail. Il avait postulé au poste de peintre même s’il n’avait aucune expérience. Il a donc initialement été embauché comme essuyeur, mais ses tâches pouvaient être amenées à changer. Au fil des ans, il a tout de même exercé les fonctions de peintre. Son travail comme peintre est d’ailleurs la dernière étape d’une chaine de production de meubles.

    Depuis qu’il a été embauché, l’entreprise a triplé de volume. Ses patrons, M. Rioux et M. Rheault, ont constaté que la fabrication des meubles bloquait à l’étape de la peinture depuis quelques années. Afin de remédier au problème, l’employeur de M. Martin a décidé de l’aider.

    M. Martin a toujours eu l’habitude de travailler seul et n’apprécie pas que son patron travaille à ses côtés. Puisque l’entreprise doit assurer un meilleur rendement et vu l’absence de coopération de la part de M. Martin au poste de peintre, son employeur décide de lui attribuer le poste de sableur. M. Martin trouve cette situation très dévalorisante, malgré le fait qu’il conserve son salaire et le même horaire de travail. Pour l’accommoder, son employeur lui offre un poste de peintre dans une autre usine. M. Martin refuse catégoriquement.

    Le 5 octobre 2015, M. Martin manifeste de nouveau son mécontentement face au poste de sableur. Il reçoit ainsi, après ses nombreuses plaintes, un avertissement écrit pour insubordination. Depuis son changement de poste, il considère qu’il a été congédié de façon déguisée. Il a toutefois continué de travailler pour son employeur.

    Le Tribunal rappelle les principes de l’arrêt Farber en précisant que, lorsqu’un employeur modifie unilatéralement et de façon substantielle une condition essentielle du contrat de travail d’un salarié et que celui-ci refuse ce changement, il peut s’agir d’un congédiement déguisé. Toutefois, l’employeur peut modifier les conditions de travail dans la mesure permise par le contrat de travail qui le lie à son salarié.

    Le Tribunal considère qu’il n’y a pas eu congédiement déguisé pour les motifs suivants :

    • Les tâches de M. Martin n’étaient pas fixes ou immuables. D’ailleurs, ce n’est pas parce qu’un employé n’aime pas le travail désigné par l’employeur qu’il s’agit d’un congédiement déguisé.

    • La série d’actes qu’a posés l’employeur de M. Martin ne démontrait pas son intention de ne plus être lié par le contrat de travail, mais plutôt l’intention de conserver à son emploi le demandeur. Les principes de l’arrêt Potter ne trouvent donc aucunement application ici. En effet, l’employeur de M. Martin tente de l’accommoder le plus possible en lui proposant d’autres tâches dans une autre usine tout en lui offrant des vacances payées pour qu’il réfléchisse à l’offre qui lui avait été faite. Il lui propose même de conserver son poste pourvu qu’il accepte l’aide donnée.

    À titre informatif, dans cette situation, l’employé n’a jamais démissionné et a tout de même continué de travailler après avoir déposé sa plainte.

Conclusion

Ces décisions démontrent l’évolution constante de la notion de congédiement déguisé. Les décisions Roadnight et Accès santé mentale cible au travail illustrent l’importance qu’accorde le Tribunal à équilibrer le rapport de force présent entre l’employeur et le salarié. Ainsi, les tribunaux ne prennent pas à la légère les cas qui démontrent de la mauvaise foi ou de la nonchalance de la part de l’employeur. Toutefois, les tribunaux ne considèrent pas qu’un employé est victime de congédiement déguisé aux moindres reproches de la part de son employeur.

Tout porte à croire qu’au courant des prochaines années, la notion de congédiement déguisé continuera de se peaufiner au travers des jugements rendus par les tribunaux québécois et canadiens afin de circonscrire avec plus de précision les situations qui se situent toujours dans des zones grises.


Dernière mise à jour : 10 juillet 2018


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