Perspectives juridiques et pratiques suite au verglas | RJQ



Perspectives juridiques et pratiques suite au verglas


AVIS AUX LECTEURS


Le présent texte constitue un ouvrage de référence faisant partie intégrante de la "Banque de textes juridiques historiques" du Réseau juridique du Québec.

L'information disponible est à jour à la date de sa rédaction seulement et ne représente pas les changements législatifs et jurisprudentiels en vigueur depuis sa rédaction.


SYLVESTRE & ASSOCIES, avocats, Saint-Hyacinthe


Contenu

Introduction

Mise en situation

Frais occasionnés par les mesures préventives ou conservatoires suite à la tempête de verglas

Arguments en faveur de l'assuré:

Arguments de l'assureur:

Conseils

Baux commerciaux ou résidentiels

Conclusion


Introduction

Le verglas a causé des dommages considérables, particulièrement dans le fameux "Triangle noir". L'un des avocats du bureau d'avocats soussigné a d'ailleurs eu l'insigne privilège de n'avoir été alimenté en électricité et en eau que le 6 février ! La population sinistrée est ici en droit de recevoir des informations à la fois accessibles et complètes sur le sujet. Il n'est pas question de discuter ici des éléments de bases à connaître : la présente présentation a plutôt pour but de cerner quelques problèmes importants sur lesquels plusieurs interrogations persistent toujours, à savoir les questions de droit à l'indemnisation pour perte de bénéfice lors d'un interruption des affaires, les frais conservatoires encourus pour prévenir des dommages et les baux commerciaux et résidentiels (doit-on payer pour la période du sinistre qui a parfois duré plus d'un mois ?).

Mise en situation:

A) Cas unique au Québec :

La tempête de verglas qui a sévi dans les dernières semaines au Québec a engendré tant chez les assurés que les assureurs une multitude de questions sur ce qui est couvert et sur ce qui ne l'est pas dans les polices d'assurance.

B) Nouveau Code civil (1994) et absence de jugements des tribunaux depuis :

Comment les tribunaux interpréteront-ils les nouveaux articles du code et surtout leur formulation différente ?

C) Situation évolutive dans le comportement des assureurs :

Le caractère exceptionnel de la situation qui a sévi au Québec a donné suite à des positions changeantes chez le même assureur !

Frais occasionnés par les mesures préventives ou conservatoires suite à la tempête de verglas

La problématique concernant ce type de demande résulte du fait que l'assurance dommages, comme son nom le dit, couvre normalement les dommages réalisés. C'est d'ailleurs la position que retiendront certaines compagnies d'assurance. La question n'est toutefois pas si simple. La plupart des polices d'assurance contiennent une clause équivalente à celle ci-après rédigée:

" L'assuré doit se charger de protéger, dans la mesure du possible et aux frais de l'Assureur, les biens assurés contre tout danger de perte ou dommage supplémentaire, sous peine d'assumer les dommages imputables à son défaut";

À partir de cette clause, différents types d'arguments peuvent être apportés favorisant l'une ou l'autre des positions.

Arguments en faveur de l'assuré:

A) Cette clause, prise isolément, peut permettre de penser à un assuré qu'il est couvert pour toutes les mesures conservatoires qu'il a prises pour protéger son bien et éviter un dommage;

Au sens littéral et grammatical, les termes utilisés laissent penser que les frais occasionnés à titre de mesures conservatoires sont pour l'assuré, une perte remboursable;

B) En cas d'ambiguïté, les dispositions d'un contrat d'assurance s'interprètent contre l'assureur et en faveur de l'assuré;

C) C'est un paradoxe de ne pas couvrir les mesures préventives car cela désavantage les assurés diligents et encouragent ceux qui ont fait preuve de négligence, ce qui peut paraître déraisonnable, absurde et contraire au principe en vertu duquel un assuré doit minimiser ses dommages;

D) La plupart des assureurs semblent accepter de couvrir certains frais conservatoires, ce qui pourrait donner lieu à une interprétation large des tribunaux, lesquels, en effet, pourraient conclure que l'assuré, à bon droit, pouvait déduire de l'attitude de l'assureur, qui l'incitait à protéger ses biens, que ce dernier acceptait d'assumer les frais conservatoires qu'il entend réclamer.

Arguments de l'assureur:

A) Le contrat doit être interprété de façon stricte. Compte tenu du caractère indemnitaire et non préventif de l'assurance de dommages prévu par le Code civil du Québec, aucune indemnité n'est prévue en l'absence de sinistre ou de dommages. Il faut noter, en droit des assurances, que le mot "sinistre" réfère à l'événement malheureux et le mot "dommages" aux conséquences en découlant.

B) A la lecture de cette clause, les frais conservatoires ou préventifs peuvent être couverts mais seulement dans la mesure où un dommage est déjà survenu et que les frais en question ont été engagés pour empêcher une perte ou un dommage supplémentaire;

C) La clause souvent intitulée " Protection des biens et vérifications "est incluse sous la rubrique "SINISTRE", ce qui présuppose qu'il y en a un;

D) Les frais conservatoires sont des dommages indirects découlant d'un sinistre à peu près toujours exclus des polices d'assurance (ex: conditions météorologiques et panne d'électricité);

E) En droit des assurances, il y a une théorie qui veut que l'assuré doit agir en personne raisonnable et diligente quant à ses biens ("courting the risk"), et les frais encourus pour protéger ses biens ne sont pas des frais assurés. Bien plus, si l'assuré n'agit pas, sa négligence d'agir peut autoriser l'assureur à refuser de payer les éventuels dégâts, s'il y en a;

Exemple: Un assuré qui, voyant son arbre sur le point de tomber, omettrait d'agir en se croyant couvert en cas de chute de l'arbre sur sa résidence, pourrait se faire refuser le bénéfice de l'assurance si l'assureur prouve qu'il a "joué avec le risque" ou "côtoyé le risque". Évidemment, un événement prévisible n'est jamais censé être couvert par une compagnie d'assurance. Dans la mesure du possible, l'assuré doit donc éviter qu'un sinistre devienne prévisible dû à sa négligence. Tout est une question de preuve factuelle dont l'assureur assume le fardeau.

F) L'expectative raisonnable d'un assuré au moment de contracter une police d'assurance n'est pas d'être couvert pour des mesures préventives ou conservatoires mais bien d'être couvert pour indemniser la perte survenue suite à un sinistre;

N.B.: Si vos polices d'assurance ne contiennent pas de clause similaire à celle ci-dessus mentionnée, votre seul appui législatif sera la référence à l'article 2495 du Code civil du Québec, lequel ne nous apparaît d'aucune utilité pour solutionner cette question puisqu'il est muet sur la notion de frais conservatoires ou préventifs:

" L'assuré ne peut abandonner le bien endommagé en l'absence de convention à cet effet. Il doit faciliter le sauvetage du bien assuré et les vérifications de l'assureur. Il doit, notamment, permettre à l'assureur et à ses représentants de visiter les lieux et d'examiner le bien assuré".

Conseils

A) Se méfier des "qu'en dira-t-on" et ne pas prendre pour acquis ce qu'on lit dans les journaux;

B) Le Barreau du Québec prendra position dans les prochains jours et publiera des fiches d'information sur les principales questions en litige;

C) Dans l'intervalle, les réclamations pour frais conservatoires déjà encourus doivent être détaillées et soumises à l'assureur;

D) Pour les mesures conservatoires à venir, les frais devront respecter le caractère de "raisonnabilité" et si possible, être pré-autorisés de l'assureur;

E) En cas de refus de l'assureur, appuyer la réclamation d'un rapport d'expert (ex: ingénieur, architecte, etc...) et demander à l'assureur une réponse écrite motivant son refus;

F) Dans tous les cas où le dommage est imminent et/ou prévisible, le défaut d'agir pourrait vous faire perdre le droit à une indemnité d'assurance en cas de sinistre. En effet, l'assureur pourrait prétendre qu'en omettant d'agir pour protéger vos biens, vous avez été négligent.

Il vaut mieux, de toute façon, engager 5 000,00$ pour faire déglacer son toit que 25 000,00$ pour le faire remplacer, quitte à tenter de se faire rembourser la dépense par son assureur. Il ne faut pas perdre de vue que les défauts d'agir risqueraient aussi de faire annuler la couverture d'assurance dans certains cas.

Le cas des pertes de bénéfice ou d'interruption des affaires suite à la panne d'électricité

Dans les dernières semaines, cette préoccupation a fait l'objet de vive discussion chez les courtiers et les assureurs puisqu'un nombre effarant d'entreprises ou de commerces ont dû se résigner à fermer leur porte vu la panne électrique généralisée;

Rappelez-vous que chaque cas en est un d'espèce et que dans le cas de refus vous avez toujours avantage à consulter un conseiller juridique.

À titre d'exemple, prenons le cas suivant:

Vous avez été victime d'une perte de bénéfice suite à l'interruption de vos affaires et vous vous êtes même résigné à ne pas installer de génératrice puisque vos employés, étant eux-mêmes sinistrés, étaient éparpillés à travers la région sans que vous puissiez les retracer. Dans ce cas, la réponse est simple: vous n'avez pas droit à vous faire rembourser les dommages subis. En effet, l'essence même d'une couverture d'assurance pour perte de bénéfice brut couvre: "les pertes résultant directement de l'interruption des activités de l'entreprise de l'assuré, devenues inévitables du fait d'un sinistre couvert ayant atteint les constructions, les machines, le matériel ou les stocks se trouvant sur les lieux désignés".

Vos biens n'ayant subi aucun dommage, vous ne pouvez être assuré pour la perte de bénéfice brut.

De plus, on retrouve à peu près toujours une exclusion de ce genre pour les pannes et les dérèglements électriques sur les lieux.

Toutefois, les assurés pourront argumenter que le sens des termes " pannes sur les lieux " ne signifie pas une panne généralisée telle que celle que nous avons connue.

Prenons le même cas mais ajoutons aussi l'élément suivant. En effet, pendant la tempête, un arbre est tombé sur le toit de votre commerce et a endommagé le toit à un point tel qu'il était, de toute façon, impossible de rouvrir votre commerce même avec une génératrice étant donné l'ampleur des dommages et ce tant et aussi longtemps que les réparations n'avaient pas été effectuées. Dans un tel cas, il va de soi que oui vous êtes couvert, oui dans la mesure où vous détenez une couverture ou clause d'interruption des affaires. Vos biens ont subi un dommage qui vous empêche de faire fonctionner votre entreprise. La perte de bénéfice que vous en subissez est couverte à compter du jour du sinistre couvert (chute de l'arbre) et non pas à compter du début de la panne;

Tous sinistres couverts par votre police d'assurance, donnant lieu à un dommage à vos biens situés sur les lieux assurés, feront entrer en jeu la garantie "perte de bénéfice brut";

Baux commerciaux ou résidentiels

A) Paiement du loyer:

Dans un premier temps, nous vous suggérons de lire attentivement votre bail. Dans bien des cas et surtout dans les baux de nature commerciale, une clause particulière régit cette question et traite notamment de la question des assurances et de qui doit en assumer le coût.

Deux (2) théories s'affrontent. La première prétend que puisqu'il s'agit d'un cas de force majeure et que le locateur n'est pas en mesure d'assurer au locataire la jouissance paisible de son loyer, celui-ci se trouverait déchargé de son obligation de payer le loyer. Cette conclusion s'appuie notamment sur les dispositions de l'article 1693, lequel stipule notamment ce qui suit:" lorsqu'une obligation ne peut plus être exécutée par le débiteur, en raison d'une force majeure et avant qu'il soit en demeure, il est libéré de cette obligation;"

Cette première obligation qui concerne le propriétaire est assortie d'une obligation corollaire qui elle concerne le locataire et qui en est la conséquence. C'est là l'essentiel de l'article 1694 du Code civil du Québec qui stipule ce qui suit: "le débiteur ainsi libéré ne peut exiger l'exécution de l'obligation corrélative du créancier".

Dans le cas sous étude, cela revient à dire que s'il est vrai que le locataire ne peut exiger du propriétaire qu'il lui fournisse un local chauffé et propre à l'habitation pendant la période du sinistre, il est également exact qu'en retour et par voie de corrélation, le propriétaire ne peut exiger du locataire le paiement de son loyer.

Par voix de conséquence, le locateur n'étant plus obligé de fournir la jouissance paisible, le locataire lui voit également son obligation de paiement de loyer éteinte.

Il va de soi que ce cas là ne s'applique pas lorsque les locataires ont continué à occuper les lieux soit parce qu'ils bénéficiaient d'une génératrice ou d'une quelconque source d'énergie pouvant leur permettre ou d'exploiter leur commerce ou d'habiter leur loyer.

Une deuxième théorie est à l'effet que le locataire devra continuer à payer son loyer, l'obligation du propriétaire de livrer un logement en bon état d'habitabilité étant une obligation de résultat, elle est repoussée en cas de force majeure. Selon cette théorie, le locataire serait quand même tenu de payer son loyer.

En matière de logement résidentiel, pour le remboursement d'une partie du mois de janvier, nous avons consulté la Régie du logement sur la question et les deux (2) positions ont été considérées. Nous avons appris, ce jour, que les Régisseurs de la Régie du logement étaient divisés également sur cette question, soit sept (7) contre sept (7).

L'article 1915 du Code civil du Québec sera également invoqué par les locataires qui auront donné un avis au locateur, lequel se lit comme suit:

"le locataire peut abandonner son logement s'il devient impropre à l'habitation. Il est alors tenu d'aviser le locateur de l'état du logement, avant l'abandon où dans les dix (10) jours qui suivent; Le locataire qui donne cet avis est dispensé de payer le loyer pour la période pendant laquelle le logement est impropre à l'habitation, à moins que l'état du logement en résulte de sa faute."

Les parties devront, selon nous, négocier entre elles et, dans bien des cas, l'avis de défaut et l'avis de retour n'auront pas été donnés. Chaque cas est un cas d'espèce compte tenu des circonstances particulières. En cas de litige, la Régie du logement tranchera.

Les parties ont grand intérêt à s'entendre puisque dans tous les cas il est fort à parier que le jugement rendu en sera un de Salomon.

Toutefois, il va sans dire que le paiement du mois de février doit être effectué tel que le prévoit les directives de la Régie du logement ainsi que la politique émise par l'aide juridique, section Rive-Sud.

B) Réparations urgentes:

Qu'arrivera-t-il lorsque le locataire, une fois revenu à son loyer, verra le propriétaire procéder à des réparations urgentes et nécessaires résultant de dommages causés par le sinistre ?

Les dispositions du Code civil du Québec semblent assez claires et le locataire devra subir les réparations sans pouvoir mettre pour cela fin au bail. Toutefois, si celles-ci sont d'une certaine ampleur et nuisent à son habitation raisonnable, il pourra obtenir une réduction de loyer.

Conclusion

- Chaque cas demeurera un cas d'espèce et il sera très intéressant de lire éventuellement les jugements des tribunaux en ce sens, vu l'absence de jurisprudence dans l'état actuel du droit.

- Il est fort possible que les tribunaux soient très souples dans l'application de la notion de faute attribuable à l'une ou l'autre des parties, en cas de dommage aux biens à l'intérieur d'un logement ou à l'immeuble même, compte tenu de la situation exceptionnelle causée par la tempête de verglas. Certains locataires ayant quitté les lieux sans prévenir leur propriétaire, risqueront également de recevoir de ce dernier des réclamations.

- La situation, nous l'avons dit, est évolutive. Dès le début, les assureurs ont refusé d'assumer certains risques que maintenant ils déclarent inclus. Qu'en sera-t-il dans les prochaines semaines et prochains mois ? C'est à suivre.

- En conséquence, nous vous recommandons d'être patients mais tenaces. Appuyez bien vos réclamations des preuves justificatives et dites vous toujours que ce qui est aujourd'hui refusé sera peut-être autorisé demain. Ne craignez point de vous informer adéquatement.

- Certains conseils de base provenant du Barreau du Québec sont aussi disponibles ici, sur le Réseau juridique du Québec. Vous verrez que ceux-ci rejoignent dans l'essentiel ce que nous avons déjà énoncé.

Nous espérons que ces quelques remarques préliminaires seront vous éclairer un tant soit peu . Pour la balance, il faudra suivre attentivement le résultat de ces débats qui passionneront certainement la communauté juridique, à défaut de passionner l'ensemble du public.

À jour au 18 février 1998

Avis : L'information présentée ici est de nature générale et est mise à votre disposition sans garantie aucune notamment au niveau de son exactitude ou de sa caducité. Cette information ne doit pas être interprétée comme constituant des conseils juridiques. Si vous avez besoin de conseils juridiques particuliers, vous devriez consulter un avocat.

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