Le réseau juridique du Québec : Le prêt sur gage


Le prêt sur gage - qu'en est-il et comment est-il contrôlé?


AVIS AUX LECTEURS


Le présent texte constitue un ouvrage de référence faisant partie intégrante de la "Banque de textes juridiques historiques" du Réseau juridique du Québec.

L'information disponible est à jour à la date de sa rédaction seulement et ne représente pas les changements législatifs et jurisprudentiels en vigueur depuis sa rédaction.



Bâtonnier Claude Masse, avocat et professeur de droit, Montréal.

Avec la collaboration de deux assistants de recherche, M. Frédéric Lapierre et M. François Santerre que l'auteur tient à remercier.


Contenu

Introduction

Nature du prêt sur gage

Importance au Québec du prêt sur gage

>Modes de fonctionnement du prêt sur gage

IntroductionLe commerce de prêt sur gage : une façade pour le recel?

Recours possibles pour l'emprunteur ou le propriétaire de biens volés

Conclusion

 


Introduction

Le prêt sur gage est une très ancienne institution sociale et juridique en Occident. Il a, par exemple, existé dès le début de la colonie au Québec. Depuis une dizaine d'années, il connaît toutefois chez nous une très forte recrudescence qui est révélatrice, non seulement d'un appauvrissement et d'une plus grande vulnérabilité de segments entiers de la population des consommateurs, mais également du fait que nous semblons avoir du mal pour le moment à utiliser, face à ce problème, les outils légaux dont nous verrons qu'ils sont nombreux et importants.

Nous examinerons ici, dans un premier temps, la nature juridique du prêt sur gage, pour en décrire, dans une deuxième étape, les modes de fonctionnement pratique. Nous décrirons en dernier lieu les règles de droit qui s'appliquent.

Nature du prêt sur gage

Le prêt sur gage est un contrat de crédit par lequel l'emprunteur d'une somme d'argent garantit le remboursement de cette somme et des frais de crédit qui y sont rattachés en remettant en gage à son prêteur un bien mobilier que le prêteur pourra conserver comme le sien propre ou le vendre si l'emprunteur ne respecte pas son engagement de rembourser dans le temps prévu au contrat. Il s'agit en fait d'un prêt personnel garanti par la remise au prêteur d'une sûreté mobilière avec dépossession pour l'emprunteur jusqu'au remboursement complet de l'obligation.

Importance au Québec du commerce de prêt sur gage

Le prêt sur gage est l'une des plus anciennes formes de crédit. Il possède l'avantage apparent de permettre à l'emprunteur d'obtenir rapidement du crédit sans perdre la propriété du bien mobilier laissé en gage tout en permettant au prêteur d'être pleinement assuré de retrouver au moins la pleine valeur de la somme prêtée puisque si l'emprunteur ne rembourse pas le montant total de la dette et des frais de crédit, il pourra conserver un bien dont la valeur commerciale équivaut souvent à quatre, cinq, ou même dix fois la valeur du prêt.

Le prêt sur gage a été florissant au Québec dans les périodes de crise économiques. Il était presque en voie de disparition sur le marché de la consommation à la fin des années 70' et ne subsistait, de façon marginale, que dans le secteur du prêt commercial. Les dix dernières années ont toutefois vu un accroissement sans précédent dans notre histoire du prêt sur gage. Seulement sur le territoire de la ville de Montréal, on compte par plusieurs centaines le nombre des commerces de prêts sur gage ou de prêt sur gage déguisés qui ont vu le jour en quelques années seulement.

 

À Montréal, il y avait environ 50 commerces de prêts sur gage en 1994. En début de 1999, cinq ans plus tard, ce nombre était passé à plus de 200. (Source : La Presse, 15 février 1999, p. A-12)

Dans tout le Québec, on en compte environ 350 concentrés dans les milieux urbains. En 1999, il s'en ouvrait un nouveau par semaine. Avec les quelques données bien incomplètes que nous possédons, on peut évaluer sommairement que ces commerces génèrent globalement au Québec au moins une centaine de millions de dollars par année en profits, légaux ou non.

Le service de police de la CUM a établit un lien direct entre la présence des commerces de prêt sur gage et la hausse des vols par effraction

Ces entreprises commerciales qui promettent un crédit facile et rapide sont prédominantes, surtout dans les quartiers défavorisés où les institutions financières traditionnelles sont de plus en plus absentes et où l'on relève une forte hausse des vols à domicile avec l'apparition de ce type de commerce. Il ne fait pas de doute non plus qu'à cet état de pauvreté d'un nombre important de nos concitoyens s'ajoute la clientèle marginale des consommateurs de drogues de toutes sortes et des parieurs invétérés. C'est ainsi que l'on retrouve à Montréal des commerces de prêts sur gage qui sont ouverts nuit et jour, d'autres où les préposés se rendent au domicile du consommateur lui-même pour lui prêter de l'argent et prendre sur place les biens mis en gage.

On peut décrire de la façon suivante le mode de fonctionnement de la grande majorité des commerces de prêts sur gage.

Modes de fonctionnement

Les formalités qui entourent la conclusion d'un contrat de prêt sur gage sont peu nombreuses et peu contraignantes en pratique. Nous verrons qu'il en serait tout autrement si le droit applicable était respecté, ce qui n'est pas le cas.

Le consommateur se présente au commerce avec un ou plusieurs biens qu'il accepte de laisser en gage en contrepartie d'un prêt personnel dont le montant lui sera versé immédiatement en argent. Le commerçant examine les biens, les évalue et convient alors de prêter une somme qui ne représente souvent que 10, 15, ou 20 % de la valeur commerciale de l'objet, en tenant compte du fait qu'il s'agit dans la plupart des cas d'un bien usagé.

La transaction est alors confirmée par un écrit sur lequel sont indiqués le nom du consommateur, son adresse, son numéro de téléphone, parfois la désignation d'une pièce d'identité. On y retrouve également la description des biens laissés en gage ainsi qu'une divulgation du montant prêté. Les conditions du prêt sont également divulguées dans cet écrit. Par exemple, le consommateur qui signe le contrat de prêt sur gage s'engage à remettre la somme prêtée dans un mois de la date de la conclusion du contrat, en plus d'une somme représentant 5 % d'intérêts par mois et de 17 % à 20 % par mois en frais d'administration et d'entreposage des biens laissés en gage. L'emprunteur qui ne peut pas rembourser le capital prêté à la fin du mois mais qui peut payer seulement les frais d'intérêts, d'administration et d'entreposage, peut éviter de perdre la propriété des biens en payant seulement ces frais. Le contrat est alors reconduit (renouvelé) pour un autre mois au terme duquel la même obligation est imposée au consommateur. Par exemple, en trois mois, un consommateur peut avoir à payer 33.00 $ de frais et d'intérêts ( 3 mois à 11.00 $ par mois) en plus d'avoir à rembourser le capital prêté de 50.00 $ pour retrouver des biens qui lui appartiennent valant jusqu'à 500.00 $.

On ne retrouve en général à ces contrats aucune indication du taux de crédit ou du taux d'intérêt annuel exigé, seulement une indication des taux et des frais mensuels. En pratique, les taux de crédit annuels pratiqués par les prêteurs sur gage vont de 300 à 500 %. Nous n'avons pour notre part relevé aucun cas où le taux de crédit annuel exigé était inférieur à 60 %, ce qui est pourtant exigé par la loi, notamment rien de moins que le Code criminel du Canada.

On aura compris que l'opération est extrêmement lucrative pour le commerçant qui ne peut qu'y gagner gros, et ce, que le consommateur rembourse son prêt ou non. Ou bien le prêteur reçoit des frais de crédit considérables, ou bien il se retrouve avec la propriété d'un bien qui vaut sur le marché commercial plusieurs fois la valeur de la somme prêtée, le tout, sans risques réels puisque le commerçant reste le détenteur des biens laissés en gage jusqu'au paiement.

Noter également qu'aucune preuve de propriété du bien n'est exigée du client. Le plus souvent, ce dernier n'a qu'à signer une déclaration dans laquelle il affirme être le véritable propriétaire des biens laissés en gage, ce qui est faux puisqu'il s'agit dans un nombre important de cas de biens qui viennent d'être volés.

Il est enfin indiqué au contrat que si la somme prêtée n'est pas remboursée à l'arrivée du terme (le terme marque la fin de la durée du contrat qui est, le plus souvent, mensuelle), en plus des intérêts, des frais d'entreposage et d'administration, le prêteur deviendra propriétaire à part entière et sans autre formalité des biens laissés en gage. Le client renonce également par contrat à recevoir tout avis concernant le transfert de propriété des biens, biens que le commerçant déclare par ailleurs pouvoir revendre à qui il l'entend dès l'arrivée du terme. C'est ainsi que l'on retrouve dans ces commerces de nombreux objets, disques compacts, bijoux, instruments de musique, équipements sportifs, appareils électroniques et ménagers qui sont offerts en vente, suite au défaut des clients du commerce de prêt sur gage.

Dans le but vraisemblablement de tenter de contourner certaines dispositions légales qui concernent le crédit, certains prêteurs sur gage déguisent ces contrats de prêts en contrats de " vente à réméré ". La vente à réméré est la vente dans laquelle le consommateur vend son bien au commerçant mais dans laquelle il se garde le droit de racheter le bien vendu à l'intérieur d'un certain délai, en payant le prix versé par le commerçant auquel s'ajoute les frais. Ainsi, le consommateur acceptera de vendre ses biens d'une valeur de 500.00 $ pour la somme de 50.00 $ mais aura par contrat le droit de les racheter un mois plus tard pour la somme de 62.00 $. Il s'agit en fait d'un contrat de crédit déguisé en contrat de vente. Ce subterfuge n'a aucune valeur légale. Le droit civil québécois considère ces contrats comme de simples contrats de crédit.

Le prêteur sur gage est par ailleurs tenu de remplir un registre en vertu du règlement municipal dont nous examinerons plus loin le contenu. Ce registre doit indiquer, pour chaque transaction, une description des articles reçus, une désignation du nom de la personne qui les a laissés en gage, une indication de son adresse déclarée, de son occupation, une description de son signalement, par exemple son poids et son âge. Le registre doit également indiquer la date et l'heure de la transaction. Le registre quotidien de la veille doit être remis au poste de police le plus proche, avant 10 heures le jour suivant. Cette mesure existe pour permettre de retracer rapidement les biens volés. En pratique, on relève un nombre considérable de cas où des transactions ne sont pas inscrites au registre et où des registres ne sont pas remis aux corps policiers dans les délais prévus.

Le commerce de prêt sur gage : une façade pour le recel ?

La police de la Communauté urbaine de Montréal établit un lien étroit entre la croissance des vols par effraction dans les domiciles et la multiplication du nombre des prêteurs sur gage dans un même quartier. Dans certains commerces, un nombre important des biens qui transitent chez le prêteur sur gage seraient, en fait, des biens volés. Ces derniers sont écoulés chez les prêteurs eux-mêmes, dans les marchés aux puces, ou même par containers entiers dans certains pays des caraïbes. Plus de 20 % des propriétaires et des opérateurs de commerces de prêts sur gages ont un casier judiciaire. Certains ont des liens très étroits avec les bandes de motards criminalisés.

Lorsqu'un citoyen est la victime d'un vol par effraction dans son domicile et qu'il veut à tout prix retrouver ses biens, il n'est pas rare que les policiers lui suggèrent d'effectuer une tournée des commerces de son quartier qui pratiquent le prêt sur gage. Il est alors fréquent que ces biens soient retrouvés dans les heures qui suivent, le véritable propriétaire étant médusé par la facilité de sa découverte. Une autre surprise l'attend. Le commerçant exige alors souvent de lui qu'il rembourse la somme prêtée par son commerce au voleur, ainsi que les intérêts et les frais... Nous verrons plus loin ce qu'il en est de l'illégalité de cette pratique.

Comprenons nous bien. Tous les prêteurs sur gage ne pratiquent pas délibérément le recel. Toutefois, devant l'absence complète de règles concernant la preuve de l'identité véritable des personnes qui se présentent chez les prêteurs sur gage et l'absence de preuve de la propriété des biens mis en gage, nous sommes forcés de constater que ces commerces constituent, dans les faits, des filières toutes désignées pour l'écoulement des biens volés. Que penser également des cas où un prêteur accepte de prendre en gage, en une seule semaine, deux ou trois systèmes de son différents d'un même client? On peut certes parler d'aveuglement volontaire dans bon nombre de cas.

Cette situation est bien sûr inacceptable et va à l'encontre de l'intérêt public le plus fondamental. Tout indique qu'elle ne fait que dégénérer depuis plusieurs années, à Montréal comme ailleurs au Québec. De nombreux recours légaux existent toutefois qui permettraient aux consommateurs et aux responsables publics d'intervenir. On doit à cet égard distinguer entre les recours qui relèvent du droit civil et ceux qui dépendent du droit criminel ou pénal.

Recours possibles pour l'emprunteur ou le propriétaire de biens volés

    Les recours " civils "

    Les recours du droit civil sont ceux qui permettent à un particulier de réclamer lui-même une compensation pour le non respect de l'un de ses droits. La sanction est dite civile parce qu'elle n'implique pas les pouvoirs publics mais seulement des particuliers entre eux, par exemple un consommateur et un commerçant. Dans ce cas, un jugement qui donne gain de cause au demandeur lui permet de recouvrer une somme contre son adversaire, compensation qui lui sera versée à lui et non aux pouvoirs publics, comme cela se produit dans le cas d'une amende.

    Le droit civil québécois donne, en principe, de nombreux recours aux consommateurs en matière de prêts sur gage. Ces moyens concernent principalement :

    a) La divulgation du taux d'intérêt ou du taux de crédit annuel ;

    b) Les frais de crédit abusifs ;

    c) Les frais de récupération des biens volés ;

    d) Les modalités du transfert de propriété des biens laissés en gage.

      a) La divulgation du taux d'intérêt ou du taux de crédit annuel:

      Nous venons de voir que les contrats de prêt sur gage indiquent un taux d'intérêt sur une base mensuelle seulement (par exemple : 5% par mois) et jamais sur une base annuelle. Cette situation est contraire à la fois à la Loi sur l'intérêt du Canada et à la Loi sur la protection du consommateur du Québec.

      La Loi sur l'intérêt oblige le prêteur d'argent qui indique que l'intérêt est payable à un taux ou à un pourcentage mensuel déterminé à divulguer expressément dans le contrat ce taux d'intérêt ou ce pourcentage sur la base annuelle à laquelle équivaut ce taux mensuel. La sanction pour le non respect de cette exigence est lourde : le taux d'intérêt est ramené à 5 % par an ( au lieu, par exemple, des 60, 125 ou de 337 % exigés). À notre connaissance, cette disposition n'a encore jamais été appliquée au Québec aux contrats de prêts sur gage.

      La Loi sur la protection du consommateur oblige le prêteur sur gage à remettre au consommateur un contrat qui respecte les divulgations exigées par un formulaire contractuel prévu dans la loi (annexe 3). On doit retrouver au contrat une divulgation du taux de crédit sur une base annuelle seulement. Dans le cas de non respect de cette exigence, le consommateur peut demander, à son choix, soit la nullité du contrat, soit la suppression des frais de crédit et la restitution de la partie des frais de crédit déjà payée. À notre connaissance, cette disposition n'a encore jamais été appliquée au Québec aux contrats de prêts sur gage.

      b) Les frais de crédit abusifs:

      Les prêteurs sur gage peuvent-ils exiger des taux d'intérêt ou des frais de crédit comme bon leur semble ? On a vu précédemment que les taux réels exigés sont en général de l'ordre de 300 à 500 %. Au plan du droit civil, la réponse à cette question est négative. Les prêteurs se trouvent ici en pleine illégalité. Voyons voir.

      D'abord, il est clair que les frais d'administration et d'entreposage exigés présentement par les prêteurs sur gage, en plus des frais d'intérêt, sont des frais de crédit déguisés qui doivent obligatoirement entrer dans la computation du taux de crédit annuel. Le taux réel passe alors, non pas à 60 % l'an, mais à 300, 400 ou 500 %. Les articles 68 à 70 de la Loi sur la protection du consommateur sont formels à cet égard.

      Deux dispositions fort importantes permettent aux consommateurs d'attaquer la validité de contrats de crédit dont le taux annuel réel correspond à ce qui est présentement exigé par les prêteurs sur gage : le Code civil du Québec et la Loi sur la protection du consommateur. Depuis qu'elles existent, nos tribunaux ont interprété ces deux dispositions comme interdisant des taux de crédit annuels effectifs de plus de 35 % en matière de crédit à la consommation. La limite de passage entre un taux de crédit considéré comme abusif et un taux légalement acceptable a pu varier de quelques points selon les périodes, notamment en raison de la grande fluctuation au cours des 25 dernières années du taux de base, mais on ne retrouve aucun jugement dans notre histoire pour valider les taux de crédit (ou d'intérêts) exorbitants de l'ordre de ceux actuellement exigés par les prêteurs sur gage. C'est du jamais vu au plan du droit civil. Notons de plus que ces forts taux ne peuvent se justifier en aucune façon par les risques que prendraient les prêteurs sur gage puisque ceux-ci n'en prennent aucun. Ils n'acceptent en effet de prêter qu'un faible pourcentage seulement de la valeur commerciale du bien laissé en gage. Or, encore une fois et à notre connaissance, ces dispositions n'ont encore jamais été appliquées au Québec aux contrats de prêts sur gage.

      c) Les frais de récupération des biens volés:

      Le prêteur sur gage qui se retrouve devant le véritable propriétaire de biens volés qui lui ont été donnés en gage, peut-il exiger de ce propriétaire le remboursement de la somme prêtée au voleur ou au receleur ainsi que les frais comme condition à la remise des biens ? La réponse à cette question est négative, et ce, pour plusieurs raisons.

      D'abord, le prêteur sur gage qui détient des biens avant l'arrivée du terme (l'échéance) d'un contrat de crédit n'en est pas le propriétaire mais le simple " détenteur ". Il ne peut donc s'opposer au droit de reprise de possession exercé par le véritable propriétaire puisqu'il n'est pas, lui-même, le propriétaire de ces biens. Mais même si ces biens avaient été vendus par le voleur au prêteur sur gage (dans le cas, par exemple, d'une vente à réméré), ce dernier ne pourrait exiger du véritable propriétaire le remboursement du prix qu'il a lui-même payé pour acquérir le bien puisque ces biens n'ont pas été vendus dans le cadre des activités d'une entreprise du voleur ou du receleur. L'article 1714 du Code civil est à cet égard formel :

      "1714. Le véritable propriétaire peut demander la nullité de la vente et revendiquer contre l'acheteur le bien vendu, à moins que la vente n'ait eu lieu sous l'autorité de la justice ou que l'acheteur ne puisse opposer une prescription acquisitive. Il est tenu (le véritable propriétaire) si le bien est un meuble qui a été vendu dans le cours des activités d'une entreprise, de rembourser à l'acheteur de bonne foi le prix qu'il a payé." (Nous soulignons)

      Les droits du prêteur sur gage au remboursement de la somme prêtée et des frais par le véritable propriétaire des biens volés et mis en gage sont donc inexistants. Il s'agit pourtant d'une pratique tout à fait courante.

      d) Les modalités du transfert de propriété des biens laissés en gage:

      À l'arrivée du terme, le prêteur sur gage ne peut en aucune façon devenir le propriétaire pur et simple des biens laissés en gage, sans autre formalité. La constitution d'un gage sur un bien mobilier est considérée comme une hypothèque en vertu du Code civil du Québec. La notion d'hypothèque n'est maintenant plus réservée aux biens immobiliers mais concerne également les biens mobiliers affectés à l'exécution d'une obligation. Le prêt sur gage est en fait une " hypothèque mobilière avec dépossession ".

      Lorsque l'emprunteur sur gage est en défaut de payer, le prêteur sur gage qui entend devenir propriétaire des biens laissés en gage et en disposer par vente à des tiers doit d'abord donner à son emprunteur un préavis de 21 jours, produire ce préavis au bureau de la publicité des droits avec une preuve de la signification de l'avis à l'emprunteur. Ce préavis est nécessaire et impératif, non seulement pour protéger l'emprunteur contre la perte de propriété de ses biens mais également pour protéger les droits de ses autres prêteurs. L'absence d'avis peut entraîner le rejet du recours. Lors de la réception de l'avis, l'emprunteur peut remédier à son défaut et empêcher le prêteur sur gage de devenir propriétaire des biens en payant ce qui est dû de même que les frais engagés. On notera de plus que le prêteur doit obtenir la permission du tribunal de prendre les biens laissés en gage en paiement lorsque l'emprunteur a remboursé plus de la moitié de la dette.

      En pratique, ces obligations légales faites aux prêteurs sur gage de donner un avis à leurs emprunteurs avant de devenir propriétaires des biens laissés en gage ne sont jamais appliquées, ce qui est tout à fait illégal. Même si elles ont un caractère impératif d'ordre public, toutes les dispositions sur les priorités et les hypothèques sont systématiquement ignorées par ces commerçants qui font affaire avec des consommateurs au Québec.

    Les recours du droit pénal et criminel

    Les recours du droit pénal et criminel sont des recours qui sont pris par l'État ou ses représentants, le plus souvent le procureur général ou l'un de ses substituts, et qui ont été instaurés dans le but de faire respecter une loi, un règlement ou, dans le cas des crimes ou des infractions graves qui portent atteinte à la société toute entière, dans le but de faire respecter le Code criminel ou une disposition de même nature. Les recours de nature pénale ou criminelle sont placées au Canada tantôt sous le contrôle des municipalités, des provinces ou de l'état fédéral. Les amendes perçues ou les peines monétaires infligées sont versées dans les fonds publics et ne servent pas, du moins directement, à la compensation des victimes.

    En matière de prêts sur gage, les trois niveaux de gouvernement sont impliqués dans des mesures de nature différentes mais qui visent toutes à contrôler ce domaine d'activités. Il s'agit principalement:

    a) Des règlements municipaux concernant le prêt sur gage;

    b) De la Loi sur la protection du consommateur;

    c) Du Code criminel du Canada.

      a) Les règlements municipaux concernant les prêts sur gage

      On compte au Québec plusieurs règlements municipaux qui encadrent les activités des prêteurs sur gage. Prenons l'exemple le plus connu, et sans doute le plus important en raison de l'intensité des activités qui s'y pratiquent, le règlement de la ville de Montréal. Ce règlement est intitulé : Règlement sur les marchands de chiens, les marchands de bric-à-brac ou d'effets d'occasion, les prêteurs sur gages et sur la vente de certains articles. Il faut bien voir que ce règlement est vétuste, n'est aucunement adapté aux besoins de la réalité moderne et constitue, en lui-même, un véritable "bric-à-brac". En vertu de ce règlement, les prêteurs sur gage sont tenus de mettre à jour un registre dans lequel ils inscrivent, pour chaque transaction, les mentions suivantes:

      " 1) une description des articles reçus en gage;
      2) le nom, adresse, l'occupation, âge probable et signalement de la personne de qui les articles ont été reçus;
      3) la date et l'heure de la réception, l'acquisition ou l'échange;
      4) le nom, adresse et occupation de la personne à qui les articles ont été vendus, livrés ou donnés en échange;
      5) la date et l'heure de la vente, la livraison ou l'échange.

      Les inscriptions dans ce registre doivent être faites dans l'ordre des transactions et numérotées consécutivement, sans rature ou effacement.
      "

      Chaque jour, les transactions inscrites au registre la veille doivent être transcrites sur un formulaire et ce formulaire doit être remis au poste de police de plus proche avant 10 hrs. Le règlement de la ville de Montréal oblige les prêteurs sur gage à conserver les biens inscrits au registre 15 jours seulement. Il est interdit au prêteur sur gage de recevoir des outils d'une personne qui n'a pas de domicile connu dans le territoire de la ville ou qui n'est pas accompagné d'une telle personne. Il lui est également interdit de recevoir, à quelque titre que ce soit, du cuivre fondu ou sous la forme de fils ou de conducteurs, si ce n'est d'un autre marchand, ou de recevoir "des parties ou accessoires de véhicules automobiles, des tuyaux ou autres objets de métal qui entrent dans la construction des bâtiments, des bicyclettes, des parties ou accessoires de bicyclettes, à moins que le vendeur ne fournisse à l'acquéreur un certificat du directeur (du service de la police de la CUM) établissant que l'objet vendu lui appartient."

      Les pénalités en cas d'infraction à ce règlement sont en principe de quelques centaines de dollars. Le plus souvent, les tribunaux accordent de amendes de 135.00 $ aux individus et de 250.00 $ aux entreprises. Depuis un an, on compte une cinquantaine de condamnations en vertu de ce règlement, condamnations qui portent toutes sur la tenue des registres, la possession illégale d'outils ou de bicyclettes.

      Il ne fait pas de doute que l'objectif principal de ce règlement est de contrer le recel et d'empêcher l'écoulement des biens volés. On constate sur le terrain que la tenue et la remise des registres est, pour le moins, très aléatoire, qu'aucune preuve sérieuse d'identité ou de propriété des biens n'est exigée par la plupart des commerçants, et qu'il est en pratique très facile à certains commerces de faire sortir par la porte d'en arrière et de cacher dans une remise ou un camion la marchandise volée qui entre par la porte d'en avant.

       

      Dans les faits, les registres sont remis en moyenne une fois par semaine. Plusieurs ne les remettent pas. Certains prêteurs sur gage font parvenir à la police une liste des mêmes transactions, de deux à six fois, mais pas dans le même ordre. Sur les quelques registres examinés dans les commerce, il y avait entre vingt et soixante contraventions au règlement.

      On doit noter toutefois que certains prêteurs sur gage font des efforts individuels sérieux pour contrer la mise en gage de biens volés (prise de photos du client, preuves d'identité, etc.). Il s'agit toutefois d'un tout petit nombre.

      On doit constater que ce règlement de la ville de Montréal sur les prêteurs sur gage est une véritable passoire dans la guerre au recel et à l'écoulement des biens volés. De plus, il faut bien admettre que, malgré le dévouement exemplaire d'un tout petit nombre de policiers du Service de police de la CUM, les moyens mis en oeuvre pour le faire appliquer sérieusement sont tout à fait insuffisants. De toute façon, même si le contenu de ce règlement et son application étaient satisfaisants à Montréal, il serait très facile aux principaux intéressés d'ouvrir un commerce de l'autre côté du pont ou de changer de municipalité et tout serait à recommencer.

      b) La Loi sur la protection du consommateur

      Cette loi ne contient pas que des sanctions civiles pour venir en aide aux consommateurs. L'Office de la protection du consommateur (O.P.C.) possède, en vertu de cette loi, le pouvoir de poursuivre au pénal les commerçants qui ne respectent pas la loi et d'obliger un certain nombre d'entre eux à détenir un permis, permis qui peut leur être retiré en cas de contravention à la loi.

      En vertu de Loi sur la protection du consommateur, les prêteurs sur gage doivent divulguer au contrat de crédit le taux de crédit annuel qu'ils chargent et non pas seulement le taux d'intérêt mensuel. Or, dans tous les cas de contrats examinés, cette obligation impérative n'était pas respectée. Cette violation de la loi pourrait entraîner des poursuites pénales de la part de l'Office de la protection du consommateur et des pertes de permis. L'O.P.C. dont le personnel d'enquête et le contentieux ont été radicalement amputés il y a quelques années n'a pu poursuivre jusqu'à maintenant que moins d'une dizaine de prêteurs sur gage. Ces derniers ont plaidé coupables et ont été condamnés à de faibles amendes.

      Les prêteurs sur gage ont de plus l'obligation de détenir un permis de l'Office, permis qui peut leur être retiré si la Loi sur la protection du consommateur n'est pas respectée ou si le commerçant concerné se livre à des actes criminels. Il s'agit là d'un instrument de contrôle et de discipline qui pourrait être très efficace s'il était appliqué. Par exemple, le président de l'Office peut refuser de délivrer un permis à un prêteur sur gage s'il "existe des motifs raisonnables de croire que ce refus est nécessaire pour assurer la protection du public, l'exercice honnête et compétent des activités commerciales visées" (art. 325 b) L.P.C.). De plus, le président de l'Office peut refuser, suspendre ou annuler un permis de prêteur sur gage à une personne qui, au cours des trois années antérieures à sa demande de permis, a été déclarée coupable d'une infraction à la L.P.C. ou d'un acte criminel punissable par voie de mise en accusation ayant un lien avec son activité.

      Or, les données compilées jusqu'à maintenant montrent que seulement moins de la moitié des prêteurs sur gage au Québec détenaient l'an dernier un permis de l'Office de la protection des consommateurs et que les moyens accordés par la loi à cet organisme en matière de prêt sur gage n'étaient pas appliqués de façon systématique, en raison, nous dit-on, d'un grave manque d'effectifs. Par conséquent, très peu d'interventions en auraient résulté.

      c) Le Code criminel

      Le législateur canadien a décidé, il y a une vingtaine d'années, d'abroger la Loi sur les prêteurs sur gage et la Loi sur les petits prêts qui limitait les taux d'intérêt sur les prêts de moins de 1,500.00 $ pour les remplacer par une nouvelle disposition du Code criminel. Il s'agit de l'article 347 qui est la première disposition criminelle générale depuis le début de la confédération à s'attaquer au prêt usuraire, peu importe les montants impliqués et peu importe la nature des parties au contrat. Cette disposition est fort importante et elle est à l'effet suivant :

      "347. Nonobstant toute autre loi fédérale, quiconque, selon le cas :

      a) conclut une convention ou une entente pour percevoir les intérêts à un taux criminel ;
      b) perçoit, même partiellement, des intérêts à un taux criminel,

      est coupable :

      c) soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans ;
      d) soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d'une amende maximale de vingt-cinq mille dollars et d'un emprisonnement maximal de six mois, ou de l'une de ces peines.
      "

      Les définitions de ce que l'on doit entendre par les notions de "capital prêté", "d'intérêts" et de "taux criminel" sont ici fort importantes.

      "Capital prêté. L'ensemble des sommes d'argent et de la valeur pécuniaire globale de tous biens, services ou prestations effectivement prêtés ou qui doivent l'être dans le cadre d'une convention ou d'une entente, déduction faite, le cas échéant, du dépôt de garantie et des honoraires, agios, commissions, pénalités, indemnités et autres frais similaires résultant directement ou indirectement de la convention initiale ou de toute convention annexe."

      En somme, le capital prêté, c'est la somme d'argent ou la valeur nette des biens ou des services dont profite l'emprunteur, tout le reste est considéré comme de l'intérêt. La définition d'intérêt que l'on trouve à l'article 347 du Code criminel le confirme.

      "Intérêt. L'ensemble des frais de tous genres, y compris les agios, commissions, pénalités et indemnités, qui sont payés ou payables à qui que ce soit par l'emprunteur ou pour son compte, en contrepartie du capital prêté ou à prêter. La présente définition exclut un remboursement de capital prêté, les frais d'assurance, les taxes officielles, les frais pour découvert de compte, le dépôt de garantie et, dans le cas d'un prêt hypothécaire, les sommes destinées à l'acquittement de l'impôt foncier." (Nous soulignons)

      Ces deux définitions permettent donc de considérer les frais d'entreposage et d'administration, dont nous avons vu qu'ils sont systématiquement chargés par les prêteurs sur gage en plus de l'intérêt, comme des frais d'intérêt au sens du Code criminel.

      L'article 347 du Code criminel définit le "taux criminel" comme :

      "Taux criminel. Tout taux d'intérêt annuel effectif, appliqué au capital prêté et calculé conformément aux règles de pratique actuarielle généralement admises qui dépasse soixante pour cent." (Nous soulignons)

      Fait très important en regard de cette disposition, l'article 347 établit une présomption à l'effet que "quiconque reçoit paiement, total ou partiel, d'intérêts à un taux criminel est présumé connaître, jusqu'à preuve du contraire, l'objet du paiement et le caractère criminel de celui-ci."

      Dans toute poursuite intentée en vertu de cet article 347, l'attestation du taux annuel effectif fait foi, jusqu'à preuve du contraire, si elle est faite par un Fellow de l'Institut canadien des actuaires avec les chiffres et les éléments justificatifs à l'appui.

      Tous les contrats de prêts sur gage retrouvés jusqu'à maintenant au Québec comportaient des frais d'intérêts annuels réels largement supérieurs à 60 %. Lors de la saisie par les policiers de 6,500 contrats de prêt sur gage les 10 et 11 novembre 1999 dans 85 commerces aucun ne respectait le Code criminel. La plupart des taux exigés se situaient entre 300 et 500 %. Un contrat exigeait même des taux avoisinant 1,000 %. De plus, quatre sur cinq (80%) de ces commerces n'avaient pas de permis de l'Office de la protection du consommateur.

Conclusion

Il faut à tout prix que les consommateurs québécois se sensibilisent à la situation actuelle en matière de prêt sur gage, qu'ils connaissent leurs droits et qu'ils se plaignent de la violation de ces droits à l'Office de la protection du consommateur et aux corps policiers. Plusieurs centaines de millions de dollars disparaissent pas année en pure perte dans la poche de prêteurs sur gage qui, dans bon nombre de cas, ne respectent aucune loi, pas même le Code criminel. Les consommateurs sont les seuls à pouvoir faire pression pour leurs propres intérêts. J'espère que la diffusion de ces quelques informations sur Internet permettra d'en informer et d'en alerter plusieurs.


À jour au 13 janvier 2000


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